Articles récents \ Monde Quels hommes pour la campagne d’ONU Femmes HeForShe ?

ONU Femmes a lancé en 2014 la campagne HeForShe, visant à encourager des hommes à faire la promotion de l’égalité. Le programme repose sur l’idée que l’égalité femmes/hommes doit être aussi défendue par les hommes. L’objectif consensuel, la communication maîtrisée. Mais quelle sorte de féminisme défend HeForShe ? Une journée HeForShe était organisée à Sciences Po le 1 er octobre 2015.

Au lancement d’HeForShe, le 20 septembre 2014, le discours d’Emma Watson crée un déclic. «Tous ensemble, hommes et femmes pour l’égalité», ce n’est pas un peu trop beau pour être vrai, ce message ? Le charisme, l’intelligence et la jeunesse de celle qui a incarné Hermione Granger au cinéma, désormais ambassadrice de bonne volonté de l’ONU , inspirent le monde entier et font des millions de vues sur Youtube. C’est tout l’internet mondial qui se met à parler féminisme et égalité.

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Le premier discours d’Emma Watson à l’ONU

Les commentaires de jeunes hommes et de jeunes femmes sont tantôt élogieux, tantôt violemment sexistes. Le sujet de l’implication des hommes pour l’égalité, et du féminisme en général, est mis en débat. L’auteur de ces lignes, homme intéressé par le féminisme alors en pleine rédaction d’un mémoire de master 2, étudiant justement l’implication des hommes pour l’égalité des sexes (dans les politiques publiques), s’enthousiasme aussi.

Pétition en ligne et carte interactive

Le site officiel d’HeForShe est lancé. On y découvre une carte interactive nous apprenant qu’à ce jour 482 000 hommes se sont engagés pour l’égalité. En France, nous serions 13 257 hommes HeForShe , en Inde on en recense 39 005 et en Côte d’Ivoire… 63.

Pour devenir un homme engagé, il suffit d’un clic sur le site pour affirmer «I am HeForShe.» On peut agrémenter son engagement d’un post Facebook, d’un tweet ou d’un courriel pour inciter d’autres hommes. Ces signatures d’hommes du monde entier affichées sur une carte interactive vont bien servir à quelque chose.

Le 23 janvier 2015, HeForShe lance sa deuxième phase: Impact 10x10x10, au forum de Davos. Nouveau discours d’Emma Watson pour expliquer le programme. Impact 10x10x10 cible des leaders, des hommes à des postes-clés dans les gouvernements, les entreprises et les universités pour «conduire le changement par le haut.» Ces hommes sont des «champions» de l’égalité choisis par l’ONU comme portes-drapeau du mouvement. Parmi eux, Frédéric Mion, le directeur de Sciences Po, une des dix universités choisies dans le monde.

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Frédéric Mion, directeur de Sciences Po, introduction de la journée HeForShe 01/10

Impliquer les hommes, mais quels hommes ?

Démonstration de cet engagement, le 1er octobre dernier, dans l’amphithéâtre Jacques Chapsal de Sciences Po, dans le cadre d’une table ronde consacrée à l’engagement des hommes pour l’égalité des sexes. À l’arrivée dans l’amphithéâtre, demi-surprise : il y a très peu de jeunes hommes présents. Ceux-ci sont pourtant les premiers visés par HeForShe. Malgré une volonté explicite d’intéresser les hommes, ils ne sont pas plus venus que pour n’importe quel autre événement perçu comme féministe. Malgré un discours qui entend mettre en avant les bénéfices de l’égalité des sexes pour les hommes, qui auront le droit de pleurer et de jouer à la poupée et que ça les consolera largement de devoir céder la moitié des sièges au Parlement ou de ne plus consommer le corps des femmes.

Les écrans de la salle affichent des déclarations d’hommes célèbres qui disent à quel point l’égalité est importante pour eux. Ces hommes sont tous issus de l’élite, célèbres et aisés. Comme le souligne avec une ironie mordante le collectif G.A.R.C.E.S, l’association féministe de Sciences Po : «Ah tiens, Bill Clinton est #HeForShe lui aussi ! Ce bon président qui est assez tranquille ces jours-ci alors que Monica Lewinski vivra toute sa vie dans l’opprobre publique (merci le slutshaming d’Etat).  Oh et on a même droit au Prince Harry, l’égalité hommes-femmes ça a l’air de l’enthousiasmer autant que de se déguiser en nazi. Mais c’est génial on a vraiment affaire à des hommes de qualité avec #HeForShe !»

Il faut donc questionner l’hypothèse au départ de HeForShe. Faut-il impliquer tous les hommes dans les luttes féministes? Alors de quels hommes parle-t-on au juste? Les quelques travaux scientifiques sur l’engagement des hommes dans les mouvements féministes, comme la thèse d’Alban Jacquemart (Lire notre article) devraient également modérer l’enthousiasme des dirigeant-e-s d’HeForShe.

Les hommes s’intéressent au féminisme quand il parle d’eux-mêmes

La sociologie du militantisme met en évidence plusieurs phénomènes. Il est très rare que l’engagement féministe soit le premier engagement des hommes concernés. Ils sont déjà engagés dans un parti, un syndicat ou une cause intellectuelle et l’engagement féministe vient s’ajouter à leurs autres engagements.

Les mouvements féministes qui accueillent en leur sein des hommes reproduisent des formes de domination masculine dans leur fonctionnement. Certains d’entre eux monopolisent la parole dans les réunions, peuvent harceler sexuellement des militantes (par exemple au Canada) ou même vouloir prendre la tête de la lutte pour les droits des femmes à leur place. Autre résultat de ces travaux : moins le féminisme développé par les associations parlent des hommes, moins ils s’engagent.

Les hommes pro-féministes ont développé des outils pour neutraliser leur tendance à la domination masculine, comme le concept de «disempowerment» de Francis Dupui-Déri. L’émancipation féministe des femmes passe par leur «empowerment», quand elles réalisent qu’elles ont aussi du pouvoir. À l’inverse, pour les hommes, l’émancipation féministe passe par la prise de conscience qu’ils jouissent d’un privilège masculin et qu’ils doivent sans cesse réfléchir à leurs propres pratiques militantes pour limiter leur propre impact de nuisance. C’est cela le processus du disenpowerment.

La communication au détriment de l’agir ?

Le partenariat entre ONU Femmes et Sciences Po va-t-il faire advenir magiquement l’égalité des sexes au sein de la grande École ?

Les Garces de Sciences Po écrivent: « On peut s’étonner de la réponse de la directrice des études de l’école, interrogée par une élève de deuxième année sur les mesures anti-sexistes concrètement prévues : «Je vais pas pouvoir enlever le sexisme de Sciences Po avec toutes les mesures mises en place.» Elle a prolongé sa pensée en expliquant que c’était la responsabilité des associations étudiantes aussi, et que l’administration ne peut pas tout faire non plus. »

Le choix des intervenant-e-s était quelque peu surprenant. Il y avait cette responsable des ressources humaines d’un grand groupe hôtelier venue dire que l’égalité-c’était-super et que sa boite était très engagée. Les responsables de Sciences Po ont dit la même chose. La directrice de France Culture a elle livré un message très pessimiste. Seul Patric Jean, porte-parole de Zéromacho, a été égal à lui-même, expliquant à l’amphithéâtre que les hommes n’avaient rien à gagner en s’engageant pour l’égalité et qu’il fallait s’engager parce que c’est juste. Point barre.

HeForShe est une très belle campagne de communication qui peut contribuer à intéresser femmes et hommes à la cause de l’égalité par son approche people. Mais on ne sait toujours pas vraiment quel genre de féminisme est défendu par ce programme, au-delà du stade de l’incantation. Un engagement militant, ce n’est pas que de belles paroles, mais des mesures très concrètes et des luttes, parfois violentes.

Guillaume Hubert, 50-50 magazine

 

 Bonus : hommes HeForShe français, et l’image à la Une, photos du Comité Onu Femmes France.

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Romain Sabathier : Secrétaire Général du Haut Conseil à l’Egalité F/H

 

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Cédric Klapisch: réalisateur et producteur

 

 

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Jean-Baptiste Maunier: chanteur et comédien

 

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 Patrice Jean: cinéaste, porte-parole de Zero Macho

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Augustin Trapenard: journaliste et critique littéraire

Photo de Une: Alex Lutz et Bruno Sanchez: comédiens

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