DOSSIERS \ L'égalité filles/garçons, ça commence à la crèche Geneviève Cresson : "La crèche n'est pas une île, toute la société est concernée …"

Geneviève Cresson est professeure émérite en sociologie à l’université de Lille 1 et chercheuse au CLERSÉ (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques). Ses recherches portent sur la famille, la santé, le genre, la petite enfance. Questions sur l’égalité filles/garçons dans les crèches.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la question du genre en crèche ?
Après plusieurs travaux sur la petite enfance, nous avons décidé d’empoigner cette question du genre dans les lieux d’accueil ; faire des recherches en crèche est assez difficile. Les méthodes d’observation en crèche sont complexes à mettre en place, l’emploi du temps est beaucoup plus souple qu’à l’école par exemple, et les enfants beaucoup moins « cadrés », actuellement.
Bien sûr, on ne peut pas isoler ces trois lieux de vie que sont l’école la crèche et la famille. Les inégalités entre filles et garçons s’observent partout, et font système.
Y a-t-il toujours autant de femmes parmi les personnels des crèches ?
Oui ce sont les femmes qui travaillent en très grande majorité dans ce secteur. Et comme le pourcentage d’étudiantes en formation reste impressionnant, les choses ne vont pas changer vite ! Les femmes professionnelles dans les lieux d’accueil de la petite enfance sont discriminées en termes de salaire, de considération ; leur image sociale est mauvaise, et leur prestige social bien bas !
Mais plus on monte dans la hiérarchie plus on trouve des hommes, par exemple comme directeurs de structure, ou parmi ceux qui écrivent des livres, organisent des formations, donnent des conseils divers, en matière de petite-enfance.
Qu’est-ce que le jeu libre qui est aujourd’hui beaucoup utilisé en crèche ?
Dans le jeu libre, on laisse aux enfants l’initiative d’aller vers les jouets ou les coins thématiques, et s’organiser entre eux. Mais c’est un lieu où risquent de resurgir les stéréotypes si les adultes n’y prennent pas gare. Les jeunes enfants sont sensibles aux stéréotypes (omni présents autour d’eux) et prêts à les reproduire. Le jeu libre en cr èche, comme dans la cour de récréation à l’école, doit être accompagné, encadré, si nous souhaitons sortir des stéréotypes.
Les médias nous parlent des nouveaux pères, est-ce une réalité en crèche ?
Je fais de la recherche depuis 40 ans et je constate que chaque génération produit un discours sur les « nouveaux pères ». On les valorise au moment où ils s’investissent un peu plus que la moyenne, pendant le congé paternité par exemple, un peu plus longtemps parfois. Mais ces hommes reprennent ensuite leur rôle traditionnel, le plus souvent. Au total il n’y a qu’une petite minorité d’hommes qui partagent également, dans la durée, les tâches parentales avec la mère de leur(s) enfant(s). Et une infime minorité qui fait tout ou presque ! On sait maintenant qu’ils sont capables de faire chacune de ces tâches (en dehors de la grossesse et de l’allaitement) reste encore à les partager à égalité.
Et même ceux qu’on appelle les nouveaux pères font moins de tâches ingrates que les femmes. On les voit sortir les enfants au parc, jouer à la maison avec eux… beaucoup plus que nettoyer ou réaliser les tâches les plus ingrates.
La garde partagée n’est pas synonyme d’égalité, puisque là aussi toutes les figures sont possibles, et les belles-mères et grands mères paternelles sont largement mises à contribution.
Les médias ont beaucoup donné la parole à ces « nouveaux » pères, par exemple ceux qui montent dans les grues, pour protester, alors qu’ils ont été condamnés pour non paiement de la pension alimentaire ou pour non présentation d’enfants. Le masculinisme n’est pas loin.
Quelles sont vos préconisations pour que l’égalité filles/garçons devienne une réalité en crèche ?
La société est profondément inégalitaire, on ne peut qu’avancer à petit pas.
La première chose à faire est d’informer et de rassurer les personnels car il y a souvent de fortes critiques vis à vis d’elles comme si elles étaient les premières responsables des inégalités ou du sexisme, ce qui n’est pas le cas.
Instaurons des conditions de travail et relationnelles qui permette à ces personnes d’être plus valorisées, plus respectées. C’est le travail qu’a réalisé Marie Françoise Bellamy à la crèche Bourdarias à Saint Ouen, en menant une réflexion en interne, en ouvrant les crèches aux parents dans un climat de confiance.
La crèche n’est pas une île, toute la société est concernée et l’évolution se fera ensemble ou ne se fera pas. Mais croyons nous vraiment à la nécessité d’une égalité entre hommes et femmes. Parfois l’égalité est une valeur plus invoquée ou affichée que respectée ou prise au sérieux, c’est là qu’est le problème.
 
Propos recueillis par Caroline Flepp 50/50 Magazine

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