DOSSIERS \ Femmes, travail, violences: pour changer l’équation Pauline : «on ne m’écoutait pas, on me coupait la parole alors que le stagiaire, lui, on l’écoutait»

Pauline a fait 5 ans d’études. Un BTS communication visuelle, une prépa en arts plastiques puis de nouveau deux ans de BTS et enfin une année aux Gobelins, l’école de l’image. Aujourd’hui elle est une des rares développeuses travaillant dans le secteur des jeux vidéo.

Y avait-il autant de filles que de garçons dans les différents cursus que vous avez suivis ?

Étonnamment, dans tous les cursus que j’ai suivi, il y avait autant de filles que de garçons voire plus de filles que de garçons. Ce qui est tout de même assez étonnant. Aux Gobelins, par exemple, nous étions 10 garçons et 10 filles.

Dans le milieu artistique, n’y a-t-il pas plutôt une majorité de filles ?

C’est vrai que dans le milieu de l’art, il y a plus de filles. En BTS, nous étions 20 filles pour 5 garçons. En fait, ce que l’on ne sait pas forcement, c’est que le milieu de la communication visuelle est super compétitif, et l‘art appliqué aussi. En BTS, cela s’est un peu calmé. En prépa, c’est super compétitif.

Mais je n’ai jamais ressenti de mise à l’écart des filles dans ce milieu malgré cette compétition. C’est une vraie compétition par rapport à ce que l’on produit. La pédagogie en école d’art est particulière, parce qu’elle passe par la destruction des gens. Un.e professereur.e peut vous dire : «votre travail, c’est de la merde» et ceci devant 60 élèves. Pour les élèves, ça passe ou ça casse. Et là, il n’y a aucune différence entre les filles et les garçons.
Le système est sélectif mais moi, je ne me suis jamais sentie discriminée en tant que femme dans les études. On me voyait comme un esprit créatif.

Comment s’est fait votre passage dans le monde professionnel ?

J’ai commencé par faire de l’alternance dans une boite qui faisait de l ‘événementiel.  J’étais la seule fille sur 4 salarié.es et ça c’est super mal passé parce que mon chef de projet était fou, et aussi misogyne.
Il disait par exemple que c’était les femmes qui devaient répondre au téléphone parce que cela sonne mieux lorsque c’est une femme qui répond. On peut aussi le traduire par « les secrétaires sont toujours des femmes. »
Je me souviens aussi avoir reçu un client et le patron m’a demandé de faire la secrétaire dans l’entrée des bureaux, une toute petite pièce sans aucun meuble, tout juste l’électricité, et il a demandé à un de ses amis de venir faire le graphiste à ma place pour qu’il y ait quelqu’un dans mon bureau.
Dans sa tête il fallait une secrétaire, et que ce soit une femme.

Tous mes collègues ont été présentés comme des directeurs. Moi, j’étais la secrétaire ! Comme c’était ma première expérience professionnelle, j’ai accepté. J’avais 22-23 ans à l’époque. Donc j’ai accepté, accepté, accepté et puis au bout d’un moment c’est parti en live.
Il faisait des blagues ou des remarques déplacées telles que : «les femmes, on ne peut rien leur demander», les femmes ceci, les femmes cela… sans compter « les blagues de cul. » Par exemple:  «Tu sais que le sperme c’est bon pour la peau, il y a des vitamines dedans, tu devrais essayer.» Je veux bien avoir de l’humour, mais au bout d’un moment, il faut arrêter.

Ce n’était pas une bonne première expérience professionnelle. Elle s’est finie aux prud’hommes, parce qu’il ne voulait plus me payer.
À l’époque, je ne me suis pas bien rendue compte de cette situation. Je me suis juste dit que ce mec était un con, mais c’est vrai qu’aujourd’hui avec le recul, je me dis qu’il était vraiment macho.

Et ensuite votre deuxième expérience professionnelle ?

Ma deuxième expérience n’a rien à voir avec la première. Je suis allée aussi dans une petite boite, une entreprise de communication où nous étions 3. J’étais salariée. Il y avait deux patron.nes, un homme et une femme. Et un jour, le patron m’a dit que je travaillais bien et il m’a augmenté. C’était vraiment un écart énorme avec ma première expérience.

Ce fut vraiment une période géniale pour moi. Je ne suis restée que 2 ans dans cette boite parce que lorsque j’ai vu une annonce pour travailler dans une entreprise de jeux vidéo, je me suis dit «tiens si j’essayais ?» J’ai été prise et j’ai enchaîné 2 CDD, car leur politique était de ne pas les transformer en CDI.

Je suis ensuite partie travailler chez Orange. Là, j’étais aussi dans une petite équipe, et j’ai bien senti qu’il y avait un background de tension. J’y suis arrivée juste après la période des suicides, mais il y en a quand même eu un pendant cette période. Un homme, s’est immolé devant son bureau. C’était dur !
Je suis restée 2 ans chez Orange, jusqu’à la fin du CDD. Je n’ai pas eu de problème particulier parce que mon boss nous protégeait du boss au-dessus de lui qui était louche. Il nous a beaucoup couvert.

Après Orange, j’ai travaillé dans une boite qui faisait du Serious Game (1). C’est du e-Learning. Je voulais me rapprocher des jeux vidéo. J’y suis restée 3 ans et demi en CDI. Au début tout se passait bien. Mais au bout d’1 an et demi, ils nous ont mis un mauvais manager et là…

Que s’est-il passé avec ce nouveau manager ?

C’était un enfer. Il n’était pas fait pour ça. Il ne savait pas vraiment communiquer. Il enfonçait toutes/tous les salarié.es sournoisement. Il avait une autre forme de misogynie qu’il cachait. Il ne me conviait pas à certaines réunions. ll n’arrivait pas à regarder les gens dans les yeux quand il leur parlait. Il avait des relations vraiment spéciales avec les femmes. Au bout d’un certain temps, j’ai vraiment eu l’impression que j’étais son bouc émissaire. La chose difficile à accepter, c’était que comme j’étais en-dessous de lui, cela ne se passait pas bien, mais avec les femmes qui étaient au-dessus de lui, cela se passait très bien.
J’en ai parlé à ma hiérarchie, mais personne ne m’a cru. Ils m’ont toujours dit que c’était dans ma tête. Je ne pouvais me plaindre à personne.
On a fait une réunion de tou.tes les graphistes pour vider notre sac. Chacun.e  avait eu une mauvaise expérience avec lui. A la suite à cette réunion, rien n’a été fait même si tout le monde se plaignait de son incompétence à faire ce travail.

La hiérarchie ne s’est pas aperçue qu’il n’était pas compétent et qu’avec moi il était misogyne.
Il est parti en congé sabbatique et quand il a été remplacé, à ce moment là, tout le monde s’est  rendu compte qu’il ne faisait pas son travail correctement . Malgré tout, j’étais la dernière des directrices/directeurs artistiques à partir parce que cette situation a fait fuir pas mal de gens. Je me suis de plus rendue compte que j’étais beaucoup moins payée que mes collègues masculins, j’avais 10 000 € brut en moins par an. J’en ai parlé au RH, j’ai eu droit à une petite augmentation de 2000 € brut par an. Pour les mêmes responsabilités !

Le problème est que j’ai mis un an et demi à trouver un autre boulot. Le milieu du jeux vidéo est très compétitif, ce secteur veut des gens très compétents prêts à tout donner dès le début. C’est en parti pour cela que j’ai mis autant de temps à retrouver un travail.

Est-ce la
société dans laquelle vous travaillez aujourd’hui ?

Oui. J’y suis depuis 2 ans et demi. Au début j’étais sur un petit projet où nous étions 15 dont 3 filles. Il n’y avait aucun problème. On m’écoutait sans discuter, pas comme dans les autres boites où j’ai travaillé. Il n’y avait pas cette notion de sexisme. Surtout ce qui est bien dans cette boite, c’est que nous avons des jeunes et aussi des gens à qui nous pouvons parler.
Sur le plan des pourcentages femmes/hommes, quand je faisais du Serious Game (1), il y avait toujours plus d’hommes que de femmes. Les développeurs n’étaient que des hommes, et les femmes souvent des commerciales et des cheffes de projet.

Ensuite je suis passée sur un projet beaucoup plus gros, avec plus de 300 personnes sur plusieurs pays. Et là, à un moment, je me suis trouvée mal à l’aise parce que lors des réunions, j’essayais de parler, on ne m’écoutait pas, on me coupait la parole, je répétais encore et encore et encore alors que le stagiaire, lui, on l’écoutait. Donc ce que j’ai fait, c’est d’en parler à des collègues individuellement. Et ils ont écouté, aucun ne s’était rendu compte de mes problèmes. Je leur ai simplement dit que je ne me sentais pas écoutée, qu’on ne prenait pas en compte mes décisions, qu’on me coupait la parole etc.

Et là, je ne me suis pas retrouvée face à un mur. Ils ont compris. Ils ont changé. J’ai trouvé ça vraiment super.

Il y a quand même de gros machos, mais heureusement pour moi, ils ne sont pas dans mon équipe.
Dans mon équipe de 15 qui s’occupe des interfaces utilisateurs, l’autre femme est une développeuse comme moi. Avant j’étais toute seule. Depuis qu’elle est arrivée, l’ambiance a changé, elle est devenue moins virile.

Est-ce que vous parlez de ces questions avec les autres femmes de votre entreprise ?

Nous parlons un petit peu de ces questions, mais c’est vrai que nous n’avons pas toujours le même ressenti. J’ai des collègues qui ont été pas mal «bousculées» avec des phrases très crues prononcées par leurs collègues hommes.
Mon compagnon est dans la société, les gens le savent, donc je pense que cela joue pas mal en ma faveur, cela me protège.
Il n’y a pas de syndicat dans cette boite. Ce qui serait bien, ce serait de monter un groupe de femmes pour parler de ces choses. C’est en réflexion en ce moment. Nous nous sommes dit que nous irions bien dans des écoles pour en parler avec les jeunes filles, leur dire : « je suis une nana, je suis comme vous, j’y suis arrivée, vous pouvez le faire !»

À Paris, il doit y avoir 2 développeuses pour 100 développeurs sur ce projet. Avec ma collègue, je me sens mieux pour parler. Je ne suis plus la seule à dire des choses, le climat est vraiment apaisé.

Maintenant on ne peut plus dire aux femmes : «ça c’est un truc de mec

 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

 

Nous avons modifié, à sa demande, le prénom de cette jeune femme.

 

1 « Serious games » : jeu sérieux est une activité qui mêle une intention « sérieuse » , de type pédagogique, informatif, communicationnelle, marketing … avec des aspects ludiques.

 

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