DOSSIERS \ Femmes, travail, violences: pour changer l’équation Violence et harcèlement dans le monde du travail : l’OIT agit.

Un siècle après sa création, 61 ans après la Convention n°111 concernant la discrimination, la Conférence générale de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) adoptera probablement lors de sa prochaine session en juin 2019, une nouvelle Convention internationale intitulée «Convention sur la violence et le harcèlement.»

La nécessité d’un encadrement international de la violence dans le monde du travail, que traduit ce texte, est née d’une mobilisation de la Confédération syndicale internationale sur le sujet des violences sexistes et sexuelles et du constat opéré par l’OIT que certaines formes de violence dans le monde du travail, telles que «la violence physique et notamment la maltraitance, la violence psychologique et notamment le harcèlement collectif («mobbing») et le harcèlement moral «bullying»), la violence sexuelle et notamment le harcèlement sexuel sont complètement ou partiellement absentes des normes internationales. Toute personne ayant le droit «d’évoluer dans un monde du travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre». Il s’agit, à travers cette convention internationale, de poser les droits des travailleuses/travailleurs et les obligations des entreprises et des États en la matière. Ce qui implique de trouver un accord sur les dits droits et obligations.

Arrêtons-nous sur les sujets qui furent particulièrement débattus lors de la première phase de négociation qui s’est tenue à l’occasion de la 107éme session de la Conférence, rassemblant 6450 délégué·es, des gouvernements, des travailleuses/travailleurs et des employeuses/employeurs en juin 2018, et dont les travaux sont en ligne sur le site de l’OIT.

Créée en 1919, l’OIT est une institution spécialisée des Nations Unies qui siège à Genève. Basée sur une structure tripartite, l’organisation réunit des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs dans une action commune pour protéger et promouvoir les droits fondamentaux au travail. Chaque pays a quatre voix : 2 pour les gouvernements, 1 pour les syndicats, 1 pour les employeurs.

S’agissant plus particulièrement de la Convention sur la violence et le harcèlement, c’est en novembre 2015 que le Conseil d’administration du Bureau international du travail (le secrétariat permanent de l’OIT) a décidé «d’inscrire à l’ordre du jour de la 107e session (juin 2018) de la Conférence une question sur “La violence contre les femmes et les hommes dans le monde du travail” en vue d’une action normative» et d’organiser une réunion tripartite d’experts. A l’issue de la réunion d’experts sur la violence contre les femmes et les hommes dans le monde du travail (octobre 2016) 1, le Conseil d’administration a décidé de remplacer le terme «violence» par «violence et harcèlement» dans le titre de la question inscrite à l’ordre du jour de la 107e session (juin 2018) de la Conférence.

En amont de cette session, un questionnaire comportant 49 questions fut envoyé aux gouvernements des Etats membres. 85 ont répondu, dont 50 ont indiqué avoir consulté les organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives.

Sur le fondement de ces travaux, le BIT a rédigé le rapport sur lequel les délégué·es ont travaillé en juin 2018.

La délégation CGT qui représentait les salarié·es français·es dans le groupe de travail sur la Convention a rédigé un précieux compte-rendu au jour le jour des négociations.

Les points, objets de vifs débats lors de la 107e session de la Conférence de juin 2018

Adoption d’une convention, d’une simple recommandation, ou d’une convention complétée d’une recommandation?

Tel était l’objet du deuxième point du questionnaire adressé aux parties prenantes (voir encadré). L’enjeu est de taille : seule une convention a un caractère contraignant pour les parties signataires et donc plus protecteur, car ne dépendant pas du bon vouloir des employeurs – des droits des salarié·es ?

Les réponses indiquent que la majorité des gouvernements (48) est favorable à un texte contraignant complété par une recommandation qui la précise ; 30 préféreraient toutefois une simple recommandation. Il en est de même du côté des employeuses/employeurs: 11 réponses sur 26 sont en faveur d’une recommandation, 10 en faveur d’une convention doublée d’une recommandation. Pour justifier cette préférence, l’Organisation internationale des employeurs, avance qu’«une recommandation offre l’avantage d’être souple et pourrait fournir des orientations sur d’autres éléments constitutifs d’un comportement «inacceptable» au travail (tel que le harcèlement, y compris moral »). C’était également la position du MEDEF.

Le principe d’une convention accompagnée d’une recommandation semble néanmoins acquis, l’amendement déposé par le groupe employeur et visant à revenir à une recommandation n’ayant pas été adopté.

Lieu de travail ou monde du travail

Les violences, et parmi elles, les violences sexuelles ou sexistes à l’encontre des femmes sont exercées dans tous les milieux professionnels ; toutefois l’on sait que plus la salariée est dans une situation de précarité, d’isolement, d’atypie, plus elle est vulnérable. La définition de cadre de protection est donc stratégique et les négociations sur ce point furent âpres. L’acception retenue par l’article 2 du projet est large :

La présente convention s’applique à la violence et au harcèlement dans le monde du travail s’exerçant à l’occasion, en lien avec ou du fait du travail ;

a) sur le lieu de travail, y compris les espaces publics et les espaces privés lorsqu’ils servent de lieu de travail ;

b) sur les lieux où le travailleur est payé, prend ses pauses ou ses repas ou utilise des installations sanitaires, des salles d’eau ou des vestiaires ;

c) pendant les trajets entre le domicile et le lieu de travail ;

d) à l’occasion de déplacements, de voyages, de formations, d’événements ou d’activités sociales liés au travail ;

e) dans le cadre de communications liées au travail effectuées au moyen de technologies de l’information et de la communication ;

f) dans le logement fourni par l’employeur.

La définition des employeuses /employeurs et des travailleuses/travailleurs

Contrairement aux vœux des représentant·es employeuses/employeurs, ce sont des définitions larges qui ont ici aussi été retenues pour caractériser les employeuses/employeurs et les travailleuses et travailleurs visé.es dans le texte. Ainsi, comme le prévoit d’autres textes de l’OIT, l’employeur n’est pas seulement celle/celui qui emploie directement la personne salariée mais également Celle/celui qui donne des ordres dans le cadre de contrat de sous traitance.

Les travailleuses/travailleurs ne sont pas seulement les personnes liées par un contrat de travail mais le terme désigne selon l’article 1 du projet : «les personnes dans tous les secteurs, tant dans l’économie formelle que dans l’économie informelle, en zone urbaine ou rurale, y compris les salariés tels que définis par la législation et la pratique nationales, ainsi que les personnes qui travaillent, quel que soit leur statut contractuel, les personnes en formation, y compris les stagiaires et les apprentis, les travailleurs licenciés, les personnes bénévoles, les personnes à la recherche d’un emploi et les candidats à un emploi.»

L’impact des violences domestiques 

Peu prises en compte par les entreprises françaises, les violences commises par les conjoints ont un impact sur le travail de celles qui en sont victimes (parcours professionnel chaotique, absentéisme, changement fréquent d’emploi, voire perte de l’emploi, etc.). Le lieu du travail est aussi un lieu où elles sont en danger, parfois de mort : le conjoint violent sait où il peut trouver sa femme.

Le projet de convention prend en compte ces réalités : il est ainsi demandé aux membres de «reconnaître les effets de la violence domestique sur le monde du travail et prendre des mesures pour y remédier» (art.10. f). Les dites mesures, décrites dans le projet de recommandation (art. 17) «devraient comprendre : un congé payé pour les victimes de violence domestique, l’assouplissement des horaires de travail des victimes de traque et de violence domestique, le transfert, à titre provisoire ou permanent, des victimes de violence domestique vers d’autres lieux de travail, la protection temporaire des victimes de violence domestique contre le licenciement, l’évaluation des risques sur le lieu de travail propres à la violence domestique, un système d’orientation concernant les mesures publiques visant à l’atténuation en matière de violence domestique, lorsqu’elles existent, la sensibilisation aux effets de la violence domestique. »

En France, nous sommes loin de mettre en place ces mesures ; la Convention OIT nous imposerait donc d’agir sur cette question.

Les conditions à réunir pour que la Convention soit adoptée lors de la 108éme session de la Conférence en juin 2019

Les négociations se poursuivront en juin.

Entre la vice-présidente du groupe des travailleur·ses, pour laquelle l’enjeu est d’«éviter que la convention soit si prescriptive qu’elle dissuade les pays de la ratifier, ou qu’elle soit d’une portée si étroite qu’elle échoue à assurer une véritable protection» et la vice présidente du groupe des employeuses/employeurs qui considère à l’inverse que «le texte a un caractère trop prescriptif et manque de souplesse, ce qui risque d’être particulièrement préjudiciable pour les petites et moyennes entreprises», on mesure qu’elles sont «épineuses pour reprendre le terme de la Commission. D’autant que quelques Etats et le groupe employeur demeurent hostiles à l’adoption d’une Convention.

Le texte qui sera proposé à l’adoption à la prochaine Conférence doit recueillir 66 % des voix. Cette convention sera ensuite applicable dans tous les pays l’ayant ratifiée.

Ce que cela changerait pour les travailleuses/travailleurs en France

Conformément à l’article 55 de la Constitution de 1958, les traités régulièrement ratifiés et publiés ont une valeur supra-législative, c’est à dire qu’aucune loi ne peut y déroger.

Il conviendra donc de confronter le droit du travail français au texte de la Convention adoptée et de le mettre en conformité avec cette dernière. Un exemple récent illustre ce point : ces derniers mois, c’est notamment sur le fondement d’une convention de l’OIT, que des Conseils de prud’hommes ont contesté la «barêmisation» des indemnités de licenciement mises en place par l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

A suivre donc…

 

Catherine Le Magueresse 50-50 magazine

Dessin Catherine Beaunez et Catherine Le Mageuresse 

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