DOSSIERS \ Femmes, travail, violences: pour changer l’équation Christophe Dague: « la CFDT a beaucoup travaillé dans les années 90 sur la définition du harcèlement sexuel, qui n’existait ni dans le code du travail ni dans le code pénal »

Christophe Dague est responsable CFDT des questions de démocratie, de l’immigration et de la lutte contre les discriminations. Il a particulièrement travaillé sur les questions des violences sexistes et sexuelles au travail, passant un Diplôme Inter Universitaire (DIU) sur l’égalité des chances entre femmes et hommes. La CFDT s’est intéressée très tôt à ces problématiques. Christophe Dague raconte les grandes difficultés que rencontrent les femmes victimes pour trouver les bon.nes interlocutrices/interlocuteurs, susceptibles de les aider à affronter ces problèmes.

Quel est votre parcours professionnel ?

A l’origine, je suis postier et après avoir exercé plusieurs mandats syndicaux à La Poste, je suis devenu permanent au syndicat de la poste. Dans le cadre de la formation continue, j’ai fait en 2007 le DIU égalité des chances entre femmes et hommes. C’est dans ce cadre que j’ai rédigé un mémoire sur la prise en charge syndicale des violences sexuelles et sexistes au travail, avec Catherine Le Magueresse (1) comme directrice de mémoire. En 2008, j’ai intégré l’union départementale de Paris comme secrétaire général adjoint jusqu’en 2012, puis secrétaire général jusqu’en septembre 2018. J’ai initié en 2010 un projet Respectées qui comprenait notamment des actions de prévention des violences sexuelles et sexistes au travail à travers des formations. A partir de 2015, avec Dominique Marchal, déléguée Femmes à la CFDT, nous avons essayé d’étendre à tout le territoire national les actions que nous avons menées à Paris sur ce sujet.

Aujourd’hui, je suis responsable CFDT des questions de démocratie, de l’immigration et de la lutte contre les discriminations.

Depuis quand la CFDT travaille sur les violences sexuelles et sexistes au travail ?

La CFDT travaille sur ces questions depuis les années 70 avec Jeannette Laot qui était secrétaire nationale à cette époque et fut cofondatrice du MLAC en 1973. Dans les années 90, nous avons collaboré avec l’Association contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), notamment Marie-Victoire Louis (2), au moment où Béatrice Ouin était déléguée Femmes, et Nicole Notat , alors secrétaire nationale en charge du dossier égalité femmes/hommes. Elle deviendra ensuite secrétaire générale. La CFDT beaucoup travaillé dans les années 90 sur la définition du harcèlement sexuel, qui n’existait ni dans le code du travail ni dans le code pénal. C’est d’ailleurs sur cette revendication que l’AVFT a été créée.

La CFDT a toujours eu des positionnements politiques forts et, par rapport aux autres organisations syndicales, assez constants sur la question des violences sexuelles et sexistes au travail. Nous étions en 1990 la seule organisation syndicale à vouloir une définition du harcèlement sexuel dans le code du travail. Mais si la CFDT a toujours eu des positionnements politiques constants sur la question, nos militant.es ne les ont pas, majoritairement, décliné sur le terrain. Les délégué.es syndicales/syndicaux ou les responsables que j’avais interrogé.es pour mon mémoire,  me disaient que les victimes ne venaient pas les voir. De ce fait, ce n’était pas un sujet prioritaire pour le syndicat. Si personne ne niait le fait que ce soit une réalité dans l’entreprise, nos syndicalistes n’étaient pas, selon elles/eux, confronté.es directement à cette réalité.

Les victimes s’adressaient-elles aux délégué.es syndicales/syndicaux?

Lorsqu’on demandait aux victimes : « pourquoi n’allez-vous pas voir les délégué.es syndicales/syndicaux ? » Elles nous répondaient que c’était une question de confiance, parce que les délégué.es syndicales/syndicaux ne montraient pas vraiment d’intérêt sur ce sujet, qu’elles/ils pouvaient être les bon.nes interlocutrices/interlocuteurs. Les victimes s’adressent en priorité aux acteurs qui sont hors travail: les associations, leur médecin traitant, la famille, à des ami.es…. Sylvie Cromer (3) avait fait une enquête sur cette question dans les années 1990, mais il semble que les études plus récentes donnent presque les mêmes résultats. Les interlocutrices/interlocuteurs du travail ne sont pas identifié.es par les femmes victimes de violences sexuelles et sexistes au travail comme les bonnes personnes susceptibles d’être à leur écoute.

Quelles actions la CFDT mène-t-elle sur le sujet des violences sexuelles et sexistes ?

Nous avons formé et sensibilisé 3600 militants depuis 2009. Nous avons commencé à Paris avec le projet Respectées, puis en Île-de-France et depuis 2015, la formation s’est étendue à d’autres régions. Ces sensibilisations permettent déjà d’intégrer collectivement que la prise en charge des violences est le rôle des militant.es CFDT. Les victimes y compris peuvent considérer que, même si cela se passe dans le cadre du travail, c’est de l’ordre du privé puisque cela touche au sexe. Si on ne fait rien, on les conforte dans cette image-là. Le fait d’en parler, de créer des outils de communication, de proposer des formations ont modifié nos schémas militants. Même si cela prend du temps, cela modifie la perception du travail sur ces questions-là. C’est un sujet syndical à part entière.

Nous travaillons beaucoup sur la prévention, la difficulté étant que les victimes ont peur de parler sur leur lieu de travail car elles ont peur de ce qui peut leur arriver. Nous interpellons les employeuses/employeurs car il faut les responsabiliser. Nous expliquons aux élu.es -désormais au comité social et économique (CSE), la façon dont nous pouvons solliciter l’employeuse/l’employeur sur la prévention du harcèlement sexuel. C’est plus facile depuis un an car le sujet est médiatisé. Les employeuse/employeurs ne peuvent plus passer impunément à côté de leur responsabilité.

Comment le problème est traité à l’interne de la CFDT ?

La logique est la même que dans les entreprises : si on ne fait rien en interne il n’y a pas de raison que ce soit différent. Donc, il faut de la prévention pour dissuader les potentiels harceleurs ou agresseurs de passer à l’acte et leur faire connaitre les sanctions qu’ils peuvent encourir dans ce cas. A la CFDT, il y a un message fort du secrétaire général, mais aussi dans des tribunes, aux congrès, dans nos textes.

Nous sommes une organisation féministe, mais il peut arriver que des militants tiennent des propos sexistes. Ce n’est pas toléré dans le syndicat. Nous faisons un travail de sensibilisation en interne, nous expliquons que le sexisme va à l’encontre de nos valeurs, nous avons aussi réalisé un guide Prévention des violences sexuelles et sexistes au travail …

Cela fait 10 ans que nous travaillons spécifiquement sur ces questions et les choses ont bougé. C’est dans les textes de congrès, et notamment dans le dernier de 2018. Nous essayons d’être vigilant.es sur cette question au sein du syndicat.

Comment accompagnez-vous les victimes qui s’adressent à vous ?

Pour les personnes que nous accompagnons, il y a un double volet : le pénal et le droit du travail qui se règlent aux prud’hommes. Nous suivons la plupart des dossiers, mais nous les passons également à des avocat.es car nous n’avons pas le droit d’intervenir au pénal. Nous nous sommes vite aperçu.es que les victimes vivent très difficilement le fait d’avoir plusieurs interlocutrices/interlocuteurs. Nous ne sommes pas toujours d’accord avec les avocat.es qui peuvent parfois considérer faire au plus efficace en requalifiant les faits de harcèlement sexuel en autre chose. Certain.es considèrent que comme les faits de harcèlements sexuels font l’objet de moins de condamnations, il vaut mieux requalifier les faits autrement pour être sûr d’obtenir réparation. C’est une victoire à la Pyrrhus car, moins on a de condamnation moins on a de jurisprudence… C’est donc un problème.

C’est grâce aux combats de l’AVFT qu’il y a de la jurisprudence. Sans cette association, on aurait 20 ans de retard sur la question du harcèlement sexuel en France. Le travail des juristes de l’association qui a tant fait sur cette question n’est pas assez mis en avant, Nous syndicalistes sommes plus sur la prévention, nous accompagnons, écoutons les victimes, mais nous ne sommes moins sur le juridique.

Obtenez-vous des résultats ?

Le travail sur cette question n’est pas toujours valorisable : une femme qui aurait pu être agressée sexuellement sur son lieu de travail, mais qui ne l’est pas grâce à la prévention, on ne le saura jamais.

Pour autant, on affiche des vraies réussites : dans nos formations et sensibilisations, nous utilisons nos outils de communication et cela marche vraiment. Un exemple, la section d’une grande banque a mis notre affiche sur les violences. Une victime qui était harcelée depuis 2 ans, a vu l’affiche, et elle est venue nous voir. Cette femme ne nous avait jamais considérés comme des interlocutrices/interlocuteurs, nous avons suivi et résolu son problème. Le harceleur a été sanctionné et déplacé.

Il y a un vrai enjeu à montrer que nous sommes des interlocutrices/interlocuteurs pour les femmes victimes de violences au travail.

 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

 

1 Catherine Le Magueresse est juriste. Ancienne présidente de l’AVFT, elle travaille sur la critique féministe du droit notamment pénal. Ses travaux actuels portent sur le traitement juridique et judiciaire des violences masculines à l’encontre des femmes.

2 Marie-Victoire Louis est sociologue chercheuse au CNRS. Spécialiste entre autres des questions des violences sexuelles faites aux femmes au travail et de la prostitution.

3 Sylvie Cromer est sociologue,  enseignant et chercheuse à l’Université de Lille 2. Elle a fondé avec Adela Turin l’association européenne Du coté des filles.

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