DOSSIERS \ La révolution clitoridienne en mouvement «Les folles de la Salpêtrière & leurs sœurs» : un point de vue psychanalytique 1/2

 

Après avoir vu la pièce Les folles de la Salpêtrière et leurs sœurs, je soutiens une certaine vision de la psychanalyse en tant que démarche émancipatrice, libératrice, sans pour autant verser dans l’idéalisation. Je dis « soutenir » et non pas « défendre » une conception de la théorie de l’inconscient. Dès lors que je me positionne de manière défensive, j’opte pour un repli sécuritaire, je tente de me rassurer en postulant du connu pour ne pas affronter l’inconnu. Jacques Lacan affirmait que « la résistance était du côté de l’analyste. » Un tel positionnement est extrêmement contraignant, car il suppose que ce que la/le patient.e, qu’il désigne comme « analysant.e » et non comme « analysé.e », vient consulter pour se faire entendre. Et si ce n’est pas le cas, c’est que ça résiste du côté de l’analyste. Lacan parle également de « sujet supposé savoir . » Ce préambule afin d’alerter sur le fait que la psychanalyse a pour objet d’accompagner celles/ceux qui consultent, au plus près de la connaissance de son propre désir. Il s’agit à la fois d’explorer notre aliénation au langage et à notre histoire et de viser à l’émancipation des contraintes, dont nous pourrions nous exonérer au profit d’un mieux-être pour nous-même et pour celles et ceux qui nous entourent.

Ce propos n’a donc pas de visée normative, il ne devrait pas être au service d’une idéologie psychanalytique sociétale. Sa dimension politique est potentiellement subversive, car explorer le rapport que chacun.e d’entre nous nourrit à son inconscient, c’est rencontrer sur notre chemin nos faces sombres, nos aspirations réactionnaires éventuelles, nos positionnements internes éventuellement condamnables. L’analyste n’est pas un juge, ni un prêtre, ni un directeur de conscience. Sa « neutralité » est supposée « bienveillante », c’est-à-dire qu’elle/il ne se positionne pas à la place de celle ou celui qui la/le consulte, mais qu’elle/il prend position au service de la quête menée par la/le patient.e sans savoir à sa place.

La différence des sexes d’un point de vue psychanalytique 

J’aime beaucoup le titre du film de Jean-Jacques Zilbermann sorti en 1998 : L’homme est une femme comme les autres (1).. Dans la citation originelle de Groucho Marx, homme et femme étaient au pluriel, mais je préfère le paradoxe du singulier, qui court-circuite d’emblée une éventuelle position d’expertise, où un homme aurait l’audace de venir dire sur les femmes à leur place. Une position patriarcale consiste à asservir l’autre au nom de son appartenance au sexe masculin. Cet exercice du pouvoir connaît diverses déclinaisons dans le champ politique, économique et culturel. Je m’expose donc devant vous au titre de ma méconnaissance et du savoir qu’elle produit néanmoins.

Comment aborder la question de la différence des sexes d’un point de vue psychanalytique ? Lacan, se positionnant en relecteur éclairé de Freud va produire un tableau de  » mathèmes  » (2) , qu’on appelle « formules de la sexuation. » A partir d’un référent phallique unique, homme et femme se positionnent entre être et avoir le phallus. Ce phallus est un symbole, qui ne se réduit pas au pénis. Cette dialectique entre l’être et l’avoir concerne autant les deux sexes, elle est à situer dans la logique de l’inconscient. L’inconscient, cette fiction freudienne d’un lieu psychique ne connaît ni la négation, ni le temps, pas plus que la mort. Ce qui est difficile dans cette théorie dite du primat du phallus, c’est de ne pas la prendre pour une idéologie sexiste, patriarcale ou masculiniste. Elle s’appuie sur la théorie de la castration, à laquelle tout.es se confrontent métaphoriquement, à savoir : « si je l’ai, je peux le perdre » et « si je le suis, je peux ne plus l’être. » Pour chacun.e d’entre nous, il suffit de remplacer le pronom personnel (désignant le phallus) de ces deux propositions par ce que nous affectionnons ou par un enjeu important dans notre vie, pour que nous nous sentions alors un peu plus concerné.es par cette hypothèse. Cherchons à illustrer cette probabilité par le terme « place » et localisons cette place occupée ou désirable et nous devrions mieux sentir de quoi il est question…

Ce que j’ai l’impression d’avoir saisi au travers de ces formules de la sexuation proposées par Jacques Lacan, c’est qu’elles n’ont pas une visée normative. Il est question de positions, de positionnements singuliers, qui nous inscrivent dans les trois structures psychiques définies par la psychanalyse (névroses, psychoses et perversions).

Complexifions encore un peu en rajoutant le couple actif/passif complémentaire du duo masculin/féminin. Si nous acceptons l’idée d’une libido présente dès l’entrée dans la vie, nous pouvons en suivre la géographie corporelle. Freud parle de libido orale, anale, phallique, puis génitale. Aux stades sadique-anal et/ou -urétral, Karl Abraham rajoute un stade sadique-oral. Là encore, au-delà d’un déroulement chronologique obéissant à une succession, il est plus astucieux de penser le corps et les jouissances qui en découlent, à partir de ses orifices. Notre corps est plein de trous ! Bouche, anus, urètres masculin et féminin, mais également tous les orifices sensoriels qui renvoient au toucher, à la vue, à l’audition, au goût et à l’odorat. Curieusement, chacun de nos sens peut devenir un lieu électif de jouissance, jusqu’à en être pour certain.es une modalité exclusive s’inscrivant dans le registre des perversions.

Lorsque le nouveau-né tète, il participe parfois activement à son nourrissage. Lorsqu’elle lui donne le sein, il arrive que la mère se sente « dévorée » par son bébé. Entre prendre et recevoir, le couple actif/passif circule de l’un à l’autre : « elle me nourrit » peut devenir « je la dévore. » Le langage nous éclaire au travers de certaines expressions courantes : « elle/il est belle/beau à croquer », « je la/le dévore des yeux. » Si l’on poursuit le circuit de l’ingestion, on en vient à la digestion, puis à l’élimination. Là encore, le langage nous indique combien les circuits pulsionnels et libidinaux nous habitent : « elle/il est vraiment chiant.e !», « elle/il a l’air constipé »…

Ces femmes qualifiées d’hystériques

Le couple actif/passif se joue également dans le registre des perversions : ainsi du voyeurisme et de l’exhibitionnisme, qui conjuguent le voir/être vu : « je me montre », « je suis vu », « je me regarde », « je te regarde me regarder. » L’œil permet le regard, celui que je porte sur le monde (c’est la part active) et celui que je perçois lorsqu’il m’est adressé. La bouche permet également la voix.

Le beau spectacle, auquel nous venons d’assister, nous a montré combien le regard et le donné à voir s’articulaient au service d’un pouvoir donné et pris sur ces femmes qualifiées d’hystériques.

Reste encore la question du sadisme et du masochisme, pour lesquels actif et passif se déclinent diversement et où la grammaire pronominale nous en montre les variantes possibles : Lorsque je déclare que « je me suis fait sadiser », à qui revient le rôle actif et décideur ? Dire « elle s’est faite violer » ou « elle a été violée » pose différemment l’enjeu de la responsabilité. C’est le violeur et non sa victime, qui est coupable. Mais qui est aux commandes dans le contrat que passe Séverin avec Wanda dans La Vénus à la fourrure de Sacher Masoch ? Dès que l’on bascule dans le registre de la perversion, les frontières se brouillent. Dans le rêve, voie royale d’accès à l’inconscient, les frontières peuvent être troubles et nous mettre en face de désirs inacceptables ou incommodants.

Je tente de vous rendre sensibles à l’écoute analytique qui se situe sur le terrain de la réalité psychique. « Vous pouvez tout me dire » déclare l’analyste. Tout peut être parlé. La frontière de l’indicible serait franchie si l’analysant.e tentait de faire de l’analyste sa/son complice dans la réalité. Le cinéma s’en délecte parfois, les représentations déconsidérantes de la psychanalyse également, parfois aussi les mauvaises rencontres, qui arrivent quelquefois. Trouver l’analyste adéquat.e ne va pas de soi, c’est bien d’une rencontre, dont il sera question, laquelle rencontre ne saurait être garantie. Ce dont il est question dans la psychanalyse, c’est d’une « Autre scène », qui circule dans le temps et dans l’espace indépendamment des contraintes de la réalité.

Daniel Charlemaine Psychologue scolaire et psychanalyste

L’homme est une femme comme les autres, film de Jean-Jacques Zilbermann, 1998

2 Mathème : terme inventé par Lacan pour désigner la formalisation algébrique des concepts de psychanalyse qu’il avait opérée dans l’optique de leur transmission.

L’auteur s’engage à rebondir sur les questions qui pourraient lui être posées.

Photo de Une : Sarah Pepe, autrice de  « Les folles de la Salpêtrière & leurs sœurs  » et Daniel Charlemaine,  lors de son intervention à l’issue de la pièce.

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