DOSSIERS \ La révolution clitoridienne en mouvement Mes voisines lesbiennes du cimetière du Père Lachaise

Il y a quelques années, après avoir vu le film Les Stances à Sophie (Moshé Mizrahi, 1971), film cryptolesbien basé sur le livre de Christiane Rochefort, je pris l’habitude d’aller régulièrement m’asseoir sur le petit banc devant la tombe de Christiane, avec une sculpture d’éléphant dessus. De fil en aiguille, j’ai réalisé que Monique Wittig et Dj Sextoy (Delphine Palatsi), deux illustres femmes lesbiennes, étaient également enterrées au Père Lachaise. Puis, un matin de décembre 2018, j’ai eu une illumination : il y avait peut-être d’autres lesbiennes enterrées au Père Lachaise. Et une fois que je les aurai trouvées, je pourrais raconter leurs vies à des copines concernées, qui en écho, me raconteraient les leurs. Et tous ces récits pourraient prendre forme dans une création sonore. Après quelques mois d’arpentage du cimetière et de recherches, j’arrivai à une sélection non-exhaustive de 6 personnes : mes voisines. Elles s’appellent: Françoise Raucourt (comédienne), Rosa Bonheur (peintre), Gertrude Stein (écrivaine), Mathilde de Morny (personnalité mondaine et artiste), Monique Wittig (romancière, théoricienne et militante féministe) et DJ Sextoy (DJ).

Cet été, je me suis rendue au cimetière du Père Lachaise avec 3 amies lesbiennes. Nous nous sommes arrêté devant chacune des 6 tombes Je commence par raconter la vie de ma voisine et plus précisément leur façon de vivre leur orientation sexuelle, leur identité de genre, leur rupture avec les normes sociales de leur époque…. Leurs vies sont des points de départ, pour évoquer leur héritage et comment ces sujets qu’elles ont portés, pensés, incarnés… ont voyagé à travers le temps et résonnent aujourd’hui. Sur chaque tombe, après le récit biographique, je poursuis donc avec un dialogue avec mon amie sur comment elle a vécu, voit, pense tous ces sujets : sa place dans la communauté et ses rituels, sa « visibilité », son expression de genre, le lien entre son homosexualité et le féminisme…

En écho à ces récits de vie intimes, j’avais envie que l’on entende la voix de Suzette Robichon, qui a connu Monique Wittig, a préfacé Ceci est mon testament de Rosa Bonheur, a traduit en français le premier ouvrage ouvertement lesbien de Gertrude Stein QED …  Des lectures de texte viennent nous connecter avec les mots des figures rencontrées: le testament de Rosa Bonheur, des lettres extraites de la correspondance entre Colette et Mathilde de Morny, des extraits de Le corps lesbien de Wittig, QED  de Gertrude Stein…

L’ambition générale de cette création est de nourrir notre matrimoine, de rompre le pouvoir (maléfique) d’invisibilité des lesbiennes-bisexuelles dans la mémoire collective et dans la vie d’aujourd’hui, de faire vivre ce monde de silence et d’interrogation qu’est un cimetière par toutes ces histoires de vie remontées à la surface, inconnues du grand public mais aussi de beaucoup de personnes de la communauté, de créer des liens entre les lesbiennes et bisexuelles d’hier et celles d’aujourd’hui, et de voir ce qui bouge, ce qui perdure…

Le 8 mars, après avoir vu la pièce Les folles de la salpêtrière et leurs sœurs de Sarah Pèpe, nous avons écouté en exclusivité l’épisode consacré à Rosa Bonheur, peintre animalière du 19ème siècle, qui a connu un succès international important à son époque, a vécu indépendante, libre, a partagé sa vie avec deux compagnes (Nathalie Micas et Anna Klumke), a légué son héritage à cette dernière. En écho et en réaction, les trois voisines d’aujourd’hui parleront de visibilité, d’invisibilité, de coming-out, de violences dans les différentes sphères de la vie et de la ville…  

Le 1er épisode, consacré à Monique Wittig, est en ligne depuis le 6 mars. Puis, un épisode sortira toutes les 3 semaines jusque fin juin. Vous pouvez les écouter ici

Mélanie Van Danes documentariste sonore

Photo de Une : Jane Kleis  – A gauche Mélanie Van Danes, à droite Tahnee

 

 

print