DOSSIERS \ Les Audacieuses Amel Benmerabet : « J’ai décidé de me lancer dans l’entrepreneuriat pour créer ma propre aventure professionnelle »

Amel et Naël Benmerabet sont deux sœurs qui vivent une relation fusionnelle. Naël a 40 ans, sa petite soeur Amel en a 35. Elles ont grandi dans le quartier du Petit-Nanterre dans les Hauts-de-Seine (92), un quartier populaire classé en zone urbaine sensible (ZUS). Passionnées de mode, elles se sont lancées dans un projet qui leur ressemble, ouvrir une boutique de prêt à porter féminin. Un entrepreneuriat familial, qui a permis en février 2019, l’ouverture de leur boutique La French.  

Le nom de la boutique était une évidence : « la French pour le côté frenchy, la Parisienne, la french touch. Nous aimons la France, sa culture et son art de vivre. La French incarne la Success Story à la française, le talent et la qualité » déclare Amel Benmerabet. Les deux sœurs sont Françaises d’origine algérienne : « nous sommes fières de notre double culture, c’est une richesse, une chance et un atout » affirme Naël Benmerabet. Pendant des années, Amel, une femme pétillante et sociable, a enchaîné les petits boulots sans réelle passion. Sa sœur Naël, une femme brillante et sensible, a occupé un poste d’assistante de direction, mais n’a pas eu la possibilité de monter dans la hiérarchie malgré des années d’expérience.

Déçues par leur routine professionnelle, les sœurs Benmerabet quittent leur poste, pour développer leur propre entreprise.  Elles décident d’entreprendre pour allier travail et plaisir. Elles veulent se libérer du carcan professionnel, ne plus se soumettre à une hiérarchie et prouver qu’elles sont capables de concrétiser un projet. « J’ai décidé de me lancer dans l’entrepreneuriat pour créer ma propre aventure professionnelle » atteste Amel.  Les sœurs n’ont reçu aucune aide financière, aucun accompagnement, ni soutien d’association. Elles ont réalisé seules les démarches. Leur projet a pu aboutir grâce à un apport financier personnel (elles y ont mis toutes leurs économies), complété d’un prêt bancaire. «  Nous étions très motivées, la banquière a cru en notre projet. Elle nous a accordé un crédit bancaire pour financer l’achat du local et les travaux » précise Amel.  Puis, sa sœur poursuit : « c’était un pari fou au départ, nous n’avions aucune formation pour débuter, ni d’expérience dans le secteur du prêt à porter, mais nos parents, nos proches nous ont toujours encouragés à aller jusqu’au bout ».

« Entreprendre, c’est prendre un risque mais risquer, c’est tenter d’obtenir ! »

Aujourd’hui, Amel et Naël organisent et développent leur entreprise. « Nous gérons la vente, les stocks, les commandes, la stratégie commerciale et les négociations » déclare Naël. Toutefois, la réalisation du projet, n’a pas été un long fleuve tranquille. Il y a eu les contraintes financières : « les travaux ont constitué un apport financier considérable » regrette-t-elle. A cela, s’ajoute le doute, la pression, la remise en question, la fatigue et le stress. Malgré les difficultés rencontrées, les deux sœurs, se sont données la main pour avancer. Une aventure entrepreneuriale qui a renforcé leur lien.

Le monde du travail, accroît les inégalités femmes/hommes. C’est un lieu particulièrement propice aux discriminations, à la violence et au harcèlement. Les deux sœurs , encouragent les femmes à se libérer du salariat pour entreprendre. « Le plus dur c’est de se lancer mais ensuite ce n’est que du bonheur. Entreprendre, c’est prendre un risque mais risquer, c’est tenter d’obtenir ! » affirme Naël.

Les sœurs sont fières d’avoir monté une entreprise familiale qui leur ressemble et se développe sous leur empreinte. Amel annonce : « nous avons des bons retours et une fidélisation des clientes. Cela nous encourage. Le succès est au rendez-vous, nous avons l’ambition d’ouvrir d’autres boutiques ».

« Nous avons créé un concept de boutique de proximité dans un univers cosy et une ambiance de convivialité »

L’habillement, constitue un besoin primaire, mais c’est avant tout un art de vivre. Le prêt à porter est un marché dynamique mais concurrentiel, dominé par les grandes enseignes.  « Nous avons créé un concept de boutique de proximité, dans un univers cosy et une ambiance de convivialité. Un lieu épuré, qui nous reflète, installé en plein cœur du centre- ville de Nanterre » souligne Amel. Elle certifie : « nous ne misons pas sur la quantité mais sur la qualité ». Les deux sœurs, proposent en effet, des pièces dans l’air du temps, portées sur les détails et les finitions. Chaque collection est forte et unique. Leur produit s’adresse à un public féminin très large : « nous n’avons pas un profil type de cliente, notre ligne de vêtement habille toutes les femmes » assure sa sœur. Leur gamme propose différents styles (urbain, pointu, chic ou bohème) permettant ainsi, à chaque femme de s’identifier à la marque La French. Une collection harmonieuse, moderne qui change au fil des saisons et s’adapte aux tendances, à des prix abordables.

Dans un secteur où la recherche du corps parfait est obsessionnelle, Amel dénonce la tyrannie de l’apparence : « je ne me reconnais pas dans les mannequins des magazines de mode, sur les affiches publicitaires ou les podiums ». L’entrepreneuse refuse de faire de ses clientes des caricatures de la mode : « le secteur de la mode exclut beaucoup de femmes en prônant la minceur, la grandeur, la jeunesse éternelle et le physique de type occidental. Chaque jour, je lutte contre ces diktats qui mettent la pression aux femmes, leur font perdre l’estime de soi et les enferme dans des complexes ».  Amel et Naël sont dans une démarche de valorisation des clientes, d’écoute et de confiance. « Notre but n’est pas de vendre à tout prix, mais d’aider chaque cliente afin qu’elle trouve le vêtement qui lui correspondra le mieux. Nous habillons les femmes pour leur donner confiance, révéler leur personnalité, leur charisme, leur naturel et surtout les décomplexer ! » affirme Naël. La French est une boutique, qui propose avant tout, à la gent féminine, des vêtements confortables.

« La mode est dans la banlieue et la banlieue fait la mode »

Souvent montrées du doigt, parfois renvoyées à des stéréotypes, les jeunes femmes issues de banlieue sont pourtant un potentiel énorme pour l’économie française. Une jeunesse sous représentée dans le monde du travail. L’entrepreneuriat, s’annonce être une des réponses au chômage qui frappe les banlieues. Le quartier est une véritable richesse, un terreau favorable à l’entrepreneuriat, car il regorge de jeunes talents et de profils dynamiques qui n’ont pas réussi à éclore par les voies traditionnelles.

« Beaucoup de nos clientes viennent de banlieue » déclarent les sœurs. Souvent, ces femmes sont victimes de préjugés dégradants : « la banlieusarde ne porte pas qu’une casquette, un jogging et des baskets ! C’est une femme qui aime se saper » affirme Amel. « La mode a une place importante dans les quartiers. Les femmes se manifestent par leur style vestimentaire. Souvent, chaque quartier a son style : je peux reconnaître une fille du 92 d’une fille du 93 à son look » certifie-t-elle. Le style, un instrument d’expression et de pouvoir : « à l’époque, nos parents, grands-parents, immigré.es, s’habillaient pour s’intégrer. Aujourd’hui, on s’habille pour s’exprimer et s’affirmer » assure-t-elle.

D’ailleurs, de plus en plus de créatrices/créateurs s’inspirent de la banlieue, le secteur de la mode passe de la haute couture à la street couture. Les marques Philip Plein, Nike, Lacoste trouvent leur look bling-bling, sportswear ou urban street au sein de la banlieue et se sont les jeunes de quartier qui portent ces marques.  Amel conclue : « la mode est dans la banlieue et la banlieue fait la mode ». 

Messilia Saidj 50-50 Magazine

Boutique La French

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