DOSSIERS \ Les Audacieuses La librairie El Ghorba Mon Amour : Un lieu de vie au cœur d’un quartier populaire

Lire, feuilleter, toucher, fureter, flâner… Pour les amoureuses/amoureux des livres, l’aventure commence dans les rayons des librairies. Elsa Piacentino et Halima M’Birik, deux femmes de 33 ans se sont mobilisées pour offrir aux habitant·es de Nanterre une librairie indépendante et généraliste. El Ghorba Mon Amour a ouvert ses portes en mars 2020. Un local de 107mdédié à l’échange et à la connaissance au cœur du quartier cosmopolite des Provinces Françaises. Un nouveau chapitre culturel qui s’écrit dans cette ville qui ne comptait plus aucune librairie depuis la fermeture du Grillon en 2017.

Il était une fois la rencontre entre Elsa Piacentino et Halima M’Birik, deux étudiantes en sociologie à l’université de Nanterre. Porté par des valeurs communes, l’amour des livres et l’envie de partager, le duo veut créer un lieu d’éveil culturel et de sociabilité implanté à deux pas du campus universitaire et ancré dans le paysage local.

Pendant cinq ans, elles font mûrir leur projet avec énergie et passion. Le 12 mars 2020, elles inaugurent leur librairie El Ghorba Mon Amour situé à deux pas de l’ancien bidonville de La Folie, l’un des plus grands bidonvilles de l’après-guerre en France. « El Ghorba signifie l’exil en arabe, un hommage aux travailleuses/travailleurs immigré·es algérien·nes et marocain·es qui ont vécu dans les bidonvilles de Nanterre entre les années 1950 et 1980 » déclare Elsa Piacentino.

Symbole de la condition indigne des immigré·es de France, les bidonvilles font partie intégrante de l’histoire de Nanterre. Le nom et le lieu de cette librairie perpétuent la mémoire de cette immigration algérienne, marocaine, portugaise et italienne qui a bâtie la France des Trente Glorieuses. Une histoire faite de luttes, d’entraides, de traumatismes et de solidarité. C’est aussi permettre à ces enfants issu·es de cette immigration de connaitre et s’approprier leur histoire.

El Ghorba Mon Amour, un nom qui fait écho aujourd’hui, au sort des migrant·es et refugié·es en France et en Europe.

Plus qu’une boutique de livres, la librairie El Ghorba Mon Amour est d’abord un lieu de vie et de rencontres. Les fondatrices insistent sur le rôle culturel et social de la librairie. Halima M’Birik affirme : « nous ne voyons pas nos livres comme un produit marchand, mais comme un outil de partage ». Les deux femmes organisent régulièrement des évènements, projections, expositions et rencontres avec des autrices/auteurs pour faire vivre la littérature et tisser des liens avec les habitant·es du quartier.

Un duo féminin bien réglé qui a su apporter une dimension humaine et une fonction sociale à leur projet.

La librairie propose un vaste choix d’ouvrages. Les deux femmes consacrent  beaucoup d’importance aux livres qui questionnent et déconstruisent. Elles mettent à l’honneur la littérature féministe et envisagent de programmer un automne 2020 féminin. Elsa Piacentino et Halima M’Birik nous livrent leurs coups de cœur féministes : « Notre corps, nous-même rédigé par un collectif de femmes; Vagabondes, voleuses et vicieuses : Adolescentes sous contrôle de la libération à la libération sexuelle de Véronique Blanchard; Pas là pour plaire ! Portraits de rappeuses de Bettina Ghio ».

Un univers peuplé de livres, propice à l’évasion, au plaisir et à la réflexion. Une boutique de l’esprit, pour toutes générations confondues dans un quartier en plein renouvellement urbain et social.

Une librairie qui fait lire le quartier

Le livre est souvent absent dans les milieux populaires. Selon le rapport de l’Observatoire des inégalités, 80 % des cadres supérieur·es ont lu au moins un livre dans l’année contre 31 % des ouvrières/ouvriers. Un accès au livre profondément inégal selon les milieux sociaux, avec bien souvent de grand·es lectrices/lecteurs chez les cadres et des non-lectrices/lecteurs dans les milieux ouvriers.

Les fondatrices Elsa Piacentino et Halima M’Birik ont implanté leur librairie au pied de la cité historique des Provinces Françaises composée à dominante d’habitat social. « La lecture est indispensable, elle ne doit pas être un loisir réservé à l’élite. Il y a une nécessité à encourager la lecture des plus jeunes dans les milieux populaires car la lecture ouvre l’esprit et créé une mosaïque culturelle. La culture n’est pas un luxe, elle est vitale » soutien Elsa Piacentino. En effet, la lecture est un moyen efficace contre l’échec scolaire et un véritable remède contre l’exclusion sociale. Insérer une librairie dans le circuit quotidien des habitant·es n’ayant pas forcement eu l’occasion ou l’envie d’entrer dans une librairie, participe à l’essor d’une culture du livre dans les milieux populaires et favorise la rencontre et l’échange entre des publics différents.

L’écrivain Daniel Pennac a dit : « chaque lecture est un acte de résistance ». Une citation qui traduit le pouvoir des livres et la force des mots. Les livres ont la capacité à transmettre une réflexion, une pensée ou un état émotionnel. Halima M’Birik affirme : « lire, c’est s’ouvrir au monde, à la différence et à la tolérance ».

Un projet citoyen qui relève d’une volonté́ d’affirmer l’accès pour tout·es à l’information et à la culture.

A l’ère du numérique, le secteur de la culture est durement touché par la crise et les librairies affaiblies par Amazon et les grandes surfaces.

En France, de nombreuses librairies ont mis la clef sous la porte et Paris se vide de ses librairies mythiques. Ces commerces dont le taux de rentabilité est le plus faible, subissent les effets dévastateurs de la concurrence du web marqués par l’explosion de la vente de livres en ligne et l’émergence des livres numériques.

Les deux associées sont confiantes : « notre librairie est nécessaire dans une ville qui n’en comptait plus aucune depuis trois ans. Notre projet fut attendu et accueilli avec joie par les habitant·es. La concurrence d’Amazon ne nous fait pas peur, nos lectrices/ lecteurs recherchent avant tout un lien humain et des conseils éclairés dans un esprit de convivialité » déclare Elsa Piacentino. Les client·es revendiquent de plus en plus l’achat local des livres. Les initiatives en faveur des libraires fleurissent et les volontés citoyennes se mobilisent pour soutenir et assurer la survie des librairies indépendantes.

El Ghorba Mon Amour est à la fois un hommage poétique aux immigré·es et à la souffrance invisible des exilé·es, un lieu culturel et authentique, un outil d’action sociale et un espace de liberté, d’échanges et de rencontres.

Une librairie avec un supplément d’âme.

Messilia Saidj 50-50 Magazine

El Ghorba Mon Amour

Prochain événement le jeudi 18 juin 2020 à 17h00 : l’auteur Fabien Vehlmann en séance de dédicaces pour la sortie du Tome 2 de la bande dessinée Le dernier Atlas.

 

 

 

 

print