Articles récents \ Île de France \ Sport Femmes et espaces publics en Seine-Saint-Denis : la pratique du vélo

Le 30 novembre, le Département de Seine-Saint-Denis organisait un colloque en ligne sur «Les femmes et leurs pratiques du vélo ». Deux questions complémentaires ont rythmé le débat et nourri les réflexions: « Comment développer l’usage du vélo en intégrant la question du genre ? Le vélo peut-il être un moyen pour les femmes de s’approprier l’espace public ? », cette seconde question prenant racine dans le constat que la place des femmes dans l’espace public est sans conteste inégale par rapport à celle des hommes.

Fin 2019, le contexte de grèves dans les métiers des transports publics et la crise sanitaire liée au Covid-19 ont engendré une réduction des déplacements en transports en commun. Corrélativement à ces deux événements, la pratique journalière du vélo par les citoyen·nes a augmenté. Ce phénomène peut certainement aussi être associé à la liberté et l’autonomie que l’usage du vélo promeut. Ajoutons que les usager·ères apprécient aussi le caractère écologique de ce moyen de transport qui favorise le maintien d’une bonne santé.

Selon l’étude menée par Edith Maruéjouls et Yves Raibaud pour la métropole de Bordeaux, les femmes ne représentent toutefois que 38% des cyclistes. L’occupation des cyclistes dans l’espace public serait donc aussi un miroir significatif des inégalités entre les femmes et les hommes dans notre société.

L’Observatoire des mobilités actives a réalisé une étude en 2018/2019 à propos des politiques en faveur des cyclistes dans les collectivités. Dans ce rapport, aucune notion du mot « femme » ou « homme » n’apparaît. Chris Blache, fondatrice de Genre et villes considère qu’élaborer la ville sous le prisme du genre, mais aussi de l’intersectionnalité, permet d’aménager nos territoires répondant aux besoins et envies de l’ensemble des citoyen·nes.

Intégrer la question du genre pour développer une pratique paritaire et égalitaire du vélo

David Sayagh, chercheur au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) a réalisé une thèse sur le lien entre la socialisation différenciée selon le genre et la pratique du vélo. Dans les magasins de sport, il est courant de distinguer deux rayons différents pour présenter les modèles de vélos : l’un est destiné aux petits garçons, l’autre aux petites filles. De manière plus discrète des injonctions tacites sont aussi véhiculées par les vélos eux-mêmes, notamment à travers leurs designs. Les vélos explicitement destinés aux petits garçons incitent à la compétition et à l’exercice physique. Les vélos destinés aux petites filles ne négligent pas de décliner la possibilité de mettre un poupon derrière elles, sans doute pour les préparer au mieux, dès le plus jeune âge à la maternité.

Le vélo, support idéal pour s’approprier l’espace public, est massivement délaissé par les femmes qui sont davantage retenues par les tâches domestiques et esthétiques. Au fil du temps elles accumulent moins de compétences pour rouler au sein du trafic motorisé. Elles sont dès lors moins incitées à pratiquer le vélo à l’âge adulte.

Pour autant, l’écart à l’âge adulte dans la pratique du vélo est moins important. Une étude de l’Insee datant de 2015 révèle que parmi les hommes actifs ayant un emploi, 2,3% utilisent le vélo comme principal moyen de transport. On compte environ 1,7% de femmes cyclistes. Pour des raisons sociétales et économiques, les femmes dépendent plus que les hommes des transports publics. Les chaînes de déplacements quotidiens des femmes sont aussi plus complexes. Ils incitent à ne pas utiliser le vélo : faire des courses, accompagner des enfants, des personnes âgées ou en situation de handicap constituent autant de « missions » concrètes davantage dévolues aux femmes qui découragent la pratique du vélo.

Albane Godard, administratrice de l’association Femmes en mouvement, se préoccupe du nombre de femmes qui se tournent vers les métiers du secteur de la mobilité. Entre 20 et 25% des femmes en Europe sont présentes dans ce secteur. L’espace public est donc majoritairement conçu par et pour les hommes. Les équipes de conception qui participent aux projets pour l’aménagement urbain et territorial doivent être davantage féminisées si l’on veut s’approcher de la parité.

Le vélo, un moyen pour les femmes de s’approprier l’espace public

Le groupe Girls On Wheels, créée en 2016, vise à regrouper, toutes les semaines, des femmes pour pratiquer le vélo dans Paris. Dans un premier temps, cette non-mixité, regroupant des femmes ou des personnes s’identifiant comme femmes est un moyen pour elles de s’approprier l’espace urbain dans un rapport de confiance, témoigne Vicky Carbonneau, fondatrice du groupe. Il existe bien des groupes mixtes pour la pratique du vélo mais ils sont majoritairement constitués d’hommes. Il n’est d’ailleurs pas rare que certaines femmes aient déjà été confrontées à des commentaires sexistes et misogynes. Par exemple, une femme posant une question sur un groupe concernant le blocage de sa selle, a dû faire face au commentaire d’un homme qui lui a gentiment proposé de se déplacer chez elle pour lui « offrir son sperme » !

Lorsqu’il s’agit de mécanique et de réparation, les disparités entre les femmes et les hommes continuent d’être visibles. Margot Abord de Chatillon, doctorante au Laboratoire Aménagement Économie Transports (LAET) a réalisé une étude regroupant des habitant·es de Lyon et Melbourne (Australie). A la question suivante : « Vous sentez vous à l’aise lorsqu’il s’agit de régler vos freins ? » les réponses qu’elle a pu obtenir sont tout à fait parlantes : 60% des hommes ont répondu « oui » contre 15% de femmes. 40% des femmes n’avaient jamais réalisé cette opération, pour seulement 8% d’hommes… D’après un témoignage recueilli auprès de mécaniciennes, lors d’entretiens téléphoniques pour des conseils, certaines personnes préfèrent se rediriger vers des hommes, car elles les considèrent intuitivement comme plus compétents. D’autres mécaniciennes n’hésitent pas à se dire infantilisées par le peu de confiance que les client·es leur accordent pour les aider à réussir leurs réparations. C’est ce que Margot Abord de Chatillon appelle de manière révélatrice « le déni d’expertise. »

Chloé Vaysse 50-50 Magazine.

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