Articles récents \ Culture \ Livres #BalanceTaBulle : 62 dessinatrices témoignent du harcèlement et de la violence sexuelle

« #Balance ta bulle est l’occasion pour une soixantaine d’artistes d’examiner l’état de notre culture, de réfléchir, de s’interroger sur lui. Et cela à un moment charnière, qui voit nombre d’entre nous, et particulièrement les femmes, tenter de récupérer un pouvoir qui leur a été dérobé. Elles racontent leur viol, leur quête de justice, leur vulnérabilité et comment elles ont trouvé la force de se battre » affirme Roxane Gay dans l’introduction du roman graphique. Roxane Gay considère le langage comme moyen efficace pour « résister à la soumission que l’on attend de nous. » (1). Les 62 dessinatrices de #BalanceTaBulle de « tous âges, nationalités, religions et orientations sexuelles » font le choix d’emprunter la voie artistique pour nous communiquer, en images, leur vécu.   

Pas de faux-semblants, elles dénoncent avec humour, poésie, parfois brutalité le harcèlement et les violences sexuelles qu’elles ont subi.

« Ces artistes ne se présentent pas en victime, mais plutôt comme passeuses de vérité » (Diane Noomin). Leurs témoignages rendent compte d’un problème systémique heurtant, sans conteste, chaque société à l’échelle internationale : le patriarcat.

« Aucune de ces histoires n’est simple. Ces pages vous feront tour à tour réfléchir, rire ou enrager » conclut Roxane Gay. Retour sur quelques histoires au plus près de leur vérité.

« J’avais toujours cru qu’il ne m’arriverait jamais rien. Ces horreurs n’arrivent qu’aux autres » (Powerpaola)

Chacune retranscrit son histoire à sa manière. Le choix des coloris peut retenir l’attention des lectrices et des lecteurs. Des dessins très vifs et colorés contrastent avec des histoires immondes et sordides. D’autres visuels, plus sombres et obscurs nous plongent dans une ambiance angoissante dépeignant une réalité. Autant d’histoires différentes qui s’inscrivent toutes dans un même combat collectif : la lutte contre les violences et agressions sexuelles faites aux femmes. Harcèlements, violences sexuelles sur le lieu du travail et dans l’espace public (rues, transports en communs…), violences intrafamiliales et inceste, violences et viols conjugaux, grossophobies, racisme, font partie des thématiques évoquées par les bédéistes.

Le sentiment de culpabilité, fréquemment présent chez ces femmes, est retranscrit dans plusieurs de ces courtes histoires : « j’ai toujours pensé que c’était de ma faute. » Elles sont aussi nombreuses à prendre du recul sur leur propre récit, à se détacher de leur vécu : « j’aurais aimé pouvoir protéger cette gamine de quinze ans », « on a abusé de toi, tu n’as rien fait de mal », « il y a tout ce que nous avons vaincu et accompli ensemble. »

Mary Fleener, « Viol consenti »

Mary Fleener retrace son adolescence. Fan de rock, elle suit des cours d’art plastique avec Kenny, son meilleur ami qui part la suite est embrigadé dans une secte. Alors qu’elle commence un cursus universitaire, elle fait le choix d’arrêter ses études pour se consacrer à la musique. Mary est la bassiste d’un groupe composé de deux autres hommes dont Ray, avec qui elle a déjà eu une brève histoire d’amour. Un soir, alors qu’ils passent une soirée ensemble, Ray lui propose des cachetons, qu’elle refuse. Mais Ray en décide autrement et change le cours de son destin…

Quelques années plus tard, Mary décide de se confier à son ancien meilleur ami, Kenny, sur ce qui lui est arrivé. Si un soutien était attendu, la réaction de Kenny « a été pire que le viol » affirme-t-elle.

L’entourage n’apporte pas toujours le soutien attendu et nécessaire. Sous-forme de questions, souvent, certain·es doutent et remettent en cause les faits racontés : « tu es sûr que c’était bien un viol et pas de la curiosité mal placée ? ». D’autres se rangent du côté de l’agresseur afin d’atténuer le viol, un acte pourtant indéfendable : « c’est ton pote il voulait pas te faire de mal » , « tu le connais, quand il a picolé »

Lenora Yerkes, « Rage Queen »

Victime d’inceste, violée par son frère, Lenora met en image son vécu à travers un ensemble de phrases qui raisonnent dans sa tête depuis plusieurs années. Si certaines réactions de ses ami·es proches amènent parfois la/le lectrice/lecteur à esquisser un sourire ironique, c’est bien parce que de tels comportements sont dérisoires et déconcertants. Ces attitudes sont à l’image d’une société qui ne mesure pas suffisamment les conséquences physiques et psychologiques que subissent les femmes victimes de violences sexuelles, ici incestueuses.

Lee Marrs « Passée à autre chose »

Alors qu’elle profite en maillot de bain du soleil dans la cour de son immeuble, un homme, se donne l’autorisation avec aisance d’entrer dans son intimité. Il lui propose une première fois de l’aider à remonter ses courses, chose qu’elle accepte : « une chance que je vous aie accompagnée avec ces sacs. Je parie que vous n’auriez pas pu les porter seule. » S’il aurait pu s’en tenir à l’expression d’une misogynie qu’il incarne à merveille, ce dernier va beaucoup plus loin que l’expression d’outrages sexistes…

Les instances policières, censées être les premières alliées des femmes victimes d’agressions sexuelles, ne prennent pas toujours en considération leurs plaintes et témoignages, dédaignant également ces femmes en situation de détresse.

« Je ne suis jamais retournée bronzer dans la cour ». Cette conclusion nous conforte dans l’idée que les femmes sont obligées d’adopter des comportements stratégiques afin d’éviter les « mauvaises rencontres. » Mais ne faudrait-il pas éduquer les futurs hommes pour lutter contre la société patriarcale, plutôt que de prévenir les femmes qui doivent adapter leur vie à celle-ci ?

Gonzalez-Blitz, Jouer du « Blackie » 

Avant de raconter son viol subit lorsqu’elle n’avait que 13-14 ans, J. Gonzalez-Blitz, petite fille mexicaine, évoque le racisme qu’elle a subi lorsqu’elle était à l’école.

« Mais c’était vain de tenter d’oublier un viol en le prenant « juste comme du sexe », cette relation physique forcée par un inconnu violent » affirme-t-elle. Plus tard, elle s’installe à New-York avec son père. Pour surmonter le choc post-traumatique du viol elle emprunte le chemin de la lutte et de la défensive. Elle dispose d’un couteau dont elle sait bien faire l’usage et apprend des techniques d’auto-défense et de protection. « On gère ses traumatismes différemment. Mais du moment que ça marche, hein ? » conclut J. Gonzalez-Blitz.

Kelly Philipps, « Feu intérieur »

« Pourquoi doivent-ils aussi violer nos esprits » , « (…) Eux nient et passent à autre chose. Mais pour nous, il n’en est rien et on doit vivre avec » sont les mots de Kelly Philipps. Le temps passe mais le traumatisme reste. A travers un récit poignant, plusieurs femmes d’âges différents discutent et s’apportent du soutien telle une thérapie de groupe. Il s’agit en fait, d’elle-même.

Chloé Vaysse 50-50 Magazine

(1) Roxane Gay, « Hunger – A Memoir of (my) body », Points, 2017.

« #BalanceTaBulle, 62 dessinatrices témoignent du harcèlement et de la violence sexuelle », Massot éditions, 2020.

Liste complète des contributrices 

 Rachel Ang, Zoe Belsinger, Jennifer Camper, Caitlin Cass, Tyler Cohen, Marguerite Dabaie, Soumya Dhulekar, Wallis Eates, Trinidad Escobar, Kat Fajardo, Joyce Farmer, Emil Ferris, Liana Finck, Sarah Firth, Mary Fleener, Ebony Flowers, Claire Folkman, Noël Franklin, Katie Fricas, Siobhán Gallagher, Joamette Gil, J. Gonzalez-Blitz, Georgiana Goodwin, Roberta Gregory, Marian Henley, Soizick Jaffre, Avy Jetter, Sabba Khan, Kendra Josie Kirkpatrick, Aline Kominsky-Crumb, Nina Laden, Mlle Lasko-Gross, Carol Lay, Miriam Libicki, Sarah Lightman, LubaDalu, Ajuan Mance, MariNaomi, Lee Marrs, Liz Mayorga, Lena Merhej, Bridget Meyne, Carta Monir, Hila Noam, Diane Noomin, Breena Nuñez, Meg O’Shea, Corinne Pearlman, Cathrin Peterslund, Minnie Phan, Kelly Phillips, Powerpaola, Sarah Allen Reed, Kaylee Rowena, Ariel Schrag, Louise Stanley, Maria Stoian, Nicola Streeten, Marcela Trujillo, Carol Tyler, Una, Lenora Yerkes, Ilana Zeffren.

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