Articles récents \ Monde \ Asie Mariko Asano et Yuki Asano : « Au Japon, l’inégalité entre les sexes est clairement présente et affichée »

Alors que le Forum Génération Egalité approche à grands pas, les féministes du monde entier se tiennent prêt·es et attendent beaucoup de cet événement. Mariko Asano est déléguée dirigeante à la Japan Women’s Watch (JAWW) depuis 2017 et Yuki Kusano est l’une des membres de l’organisation.

Quelles sont vos missions à la JAWW ?

La JAWW a été créée en 2001. L’organisation œuvre pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles au Japon et à l’étranger.

Tous les cinq ans et depuis 1995, la JAWW publie un rapport, suivant le calendrier de Beijing, concernant la situation des femmes et des filles au Japon. L’organisation envoie également un·e représentant·e à la Commission de la condition de la femme (CSW) et organise un événement parallèle parrainé par la Mission japonaise auprès des Nations Unies avec d’autres ONG féminines. La JAWW a un programme de soutien et chaque année nous donnons l’opportunité à une ou deux jeunes femmes de participer à la CSW.

Les femmes portent le plus gros fardeau de la crise actuelle. Pensez-vous que la crise va changer la façon dont le monde perçoit les femmes ?

Yoshiro Mori, président du comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo, et l’ancien Premier ministre du Japon, ont déclaré, lors d’une réunion officielle, que « les femmes parlaient trop », et que les réunions avec de nombreuses femmes au conseil d’administration « prenaient beaucoup de temps ». Au Japon, l’inégalité entre les sexes est clairement présente et affichée, et nous savons que de nombreuses personnes défendent Yoshiro Mori. Heureusement, beaucoup de féministes ont aussi condamné ces propos.

Nous avons vu des femmes leaders, comme la Première Ministre de Nouvelle-Zélande ou la Présidente de Taiwan, traiter la pandémie rapidement et efficacement. Elles n’ont pas réussi simplement parce qu’elles sont des femmes, mais nous savons maintenant que les femmes peuvent être de grandes dirigeantes si on leur donne la possibilité d’exercer des rôles de leadeuses et de montrer ce leadership.

Au cours de ces 25 années écoulées depuis Pékin, que pouvez-vous dire sur l’égalité de genre ?

Au Japon, après la conférence de Pékin en 1995, il y a eu un énorme contrecoup. Dans les années 2000, les représentant·es du gouvernement n’utilisaient jamais le mot « genre ». Des règles, pourtant non écrites, leur interdisaient d’utiliser ce mot. Mais de nos jours, le grand public connaît le mot « genre » et les législateurs discutent enfin des questions de genre. De nombreux pays, dont le Japon, ont également promulgué des lois prévenant et interdisant les violences domestiques, et les violences entre partenaires intimes.

D’un autre côté, il reste encore beaucoup d’efforts à faire. L’écart salarial entre les sexes est d’environ 30% au Japon pour les employé·es à plein temps. Mais les femmes constituent la majorité des employé·es à temps partiel. Dans un tel environnement, les femmes ont tendance à considérer que c’est de leur faute si elles ne gagnent pas autant d’argent que les hommes.

Où en sont les droits des femmes et des filles au Japon ?

Il n’y pas de cadre juridique pour les droits humains : nous avons une loi sur l’égalité des chances en matière d’emploi, d’autres liées à l’égalité des sexes, mais il n’y a pas de cadre juridique général pour l’égalité des sexes ou les droits humains en général. Le Japon n’a pas signé le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il n’existe pas d’institution nationale des droits humains. Nous avons toujours une politique de nom unique et 96% des femmes changent leur nom de famille pour prendre celui de leur mari. Nous n’avons pas de politique paritaire en politique et seules 10% environ des législatrices/législateurs sont des femmes. En ce qui concerne les filles, nous avons besoin d’une éducation complète en matière de santé et droits sexuels et reproductifs. Aujourd’hui, l’âge du consentement au Japon est fixé à 13 ans et le Code civil japonais stipule que le partenaire masculin doit être âgé d’au moins 18 ans et la partenaire féminine doit être âgée de 16 ans ou plus, ce qui est très controversé. Au Japon, la pression de la société empêche souvent les femmes et les filles de s’exprimer et de prendre des mesures.

Pensez-vous que le Forum Génération Égalité pourrait améliorer la situation spécifique des femmes et des filles au Japon ?

En 1995, la Conférence de Pékin a eu une énorme influence sur le Japon car 5 000 personnes y ont assisté, et il y a eu une vraie volonté ensuite de changer les choses. Malheureusement, le Forum Génération Égalité n’a pas encore attiré autant d’attention que la Conférence de Pékin. Pour rendre le Forum plus percutant et plus significatif, nous aimerions travailler avec nos collègues et d’autres organisations pour le promouvoir et faire avancer l’égalité des sexes en général.

Propos recueillis par Chloé Cohen 50-50 Magazine

Photo de Une : Mariko Asano

Lire aussi : La politique au Japon : un monde d’hommes ? Partie 1 et partie 2

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