Articles récents \ France \ Politique Mariette Sineau : « Sous la Ve République, le président de la République concentre entre ses mains l’essentiel des pouvoirs : cela induit l’idée d’une incarnation masculine sinon virile de la politique »

Mariette Sineau est politologue et directrice de recherche au CNRS et au centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). Elle a co-écrit Femmes et République aux côtés des historiennes Scarlett Beauvalet, Annie Duprat et Françoise Thébaud, et de la politologue Armelle Le Bras-Chopard. Préfacé par l’historienne Michelle Perrot, ce livre original réalisé sous forme de BD avec nombre de photos, biographies, dessins, affiches… raconte le combat des femmes pour se faire une place dans la République depuis la Révolution française. Si la parité avance, l’ouvrage note toujours une mainmise des hommes sur les fonctions exécutives et régaliennes…

Pourriez-vous résumer en quelques mots l’ambition générale de l’ouvrage ?

Analyser la résistible inclusion des femmes dans la cité républicaine, depuis 1789, tel est l’objet du livre. Les autrices ont eu à cœur de dévoiler le long combat des Françaises pour conquérir l’égalité des droits : droit au travail, égalité de salaires, droit à l’éducation, droits civils, et bien sûr droits politiques. En 1789, les femmes sont bien appelées « citoyennes », mais jouissent de bien peu de droits. 

Sans le dire, les révolutionnaires ont créé un universel à leur usage. Un « universel de poche », selon les mots de la féministe Maria Deraismes (1828-1894), qui laisse de côté la moitié de l’humanité. Malgré sa neutralité apparente, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen crée une citoyenneté déterminée, sous condition de masculinité. En réalité, l’universel c’est l’homme. La femme c’est « l’autre inessentielle ». 

Dénoncer cette faille qui sape les fondements de l’universalisme républicain, tel a été le sens de la lutte féministe, organisée en associations. Mais, après la conquête des droits, le plus difficile, peut-être, restait à réaliser : exercer réellement les pouvoirs et libertés concédés au prix de tant de luttes. Commence alors la quête, inachevée à ce jour, de la République paritaire. L’égalité est un combat… Le livre fait aussi place à l’imagerie dans l’art politique :  Marianne est un symbole.

Mariette Sineau femmes république

La France a été la première démocratie organisée sur une base paritaire ? Pour quelles raisons ? Quelle a été la genèse de la réforme ? 

On touche au paradoxe. La France reposant sur L’Un, sur l’indivisibilité de la Nation, est pourtant la première à faire la « révolution paritaire », ouvrant une ère nouvelle : l’incarnation du souverain en deux sexes. Pourquoi ? 

L’idée paritaire part d’un double constat d’échec. D’une part, les partis parlementaires, de gauche comme de droite, sont réticents à présenter des femmes, surtout dans les circonscriptions gagnables. D’autre part, le système du quota légal, voté en 1982 par la gauche au pouvoir, pour les listes municipales, a été annulé par le Conseil constitutionnel. Au motif qu’il fait une distinction entre candidat·es selon le sexe, il est déclaré contraire à l’égalité des citoyens.

Dès lors, il fallait penser autrement. C’est ainsi que naît le concept de parité, neuf dans le ciel des idées républicaines. Le mouvement pour la parité mobilisera de nombreuses associations, intellectuelles et femmes politiques … En juin 1996, dans L’Express, dix femmes politiques, de gauche comme de droite, lancent le Manifeste pour la parité, exigeant autant de femmes que d’hommes dans les partis, à l’Assemblée, au gouvernement. L’arrivée au pouvoir de la gauche plurielle et l’installation de Lionel Jospin à Matignon en 1997 permettront le vote de la réforme paritaire. Après la révision constitutionnelle de 1999, la loi fondatrice du 6 juin 2000, voit le jour. Lors des scrutins de liste, elle oblige les partis à présenter en alternance 50% de candidat·es de chaque sexe. Pour le scrutin uninominal des législatives, elle établit une retenue sur les dotations des partis ne respectant pas la parité. D’autres lois suivront. 

La première loi dite de parité a un peu plus de 20 ans. A-t-elle réussi son objectif de favoriser « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » ?

Je ferais une réponse à double détente. Oui, la loi a suscité une vraie dynamique de féminisation des mandats électoraux. L’égalité est atteinte, ou en voie de l’être, dans la plupart des assemblées. Aujourd’hui, 50% de femmes siègent dans la délégation française du Parlement européen, 48% dans les conseils régionaux, 50% dans les conseils départementaux, 42% seulement dans les conseils municipaux (car la parité n’est pas obligatoire dans les petites villes). Au sein de l’Assemblée nationale, les femmes constituent 39,5% des député·es depuis les législatives de 2017. Ce score, qui place la France au 4e rang des pays européens, a été atteint grâce au nouveau parti LREM, qui a respecté la parité des investitures. Une pratique en rupture avec celle des vieux partis de gouvernement, qui ont toujours préféré payer « l’impôt parité », plutôt que de faire élire des femmes. Au Sénat, enfin, les femmes siègent à raison d’un tiers. 

La féminisation des fonctions électives, quant à elle, est plus lente à advenir. Certes, depuis la loi de 2007, qui rend obligatoire la parité des exécutifs, les femmes ont pris une bonne place parmi les vice-président·es des conseils régionaux et départementaux, et parmi les adjoint·es au maire. Mais, la domination des hommes demeure au sommet du pouvoir. On ne trouve que 22% de femmes parmi les président·es de région, moins de 20% parmi les maires, 11% parmi les président·es d’intercommunalité et 10% parmi les président·es de département … Dans toute l’histoire de la République, on n’a jamais vu de femmes présider ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat. L’accès au premier cercle est encore solidement verrouillé. 

Où en est aujourd’hui le pouvoir ministériel des femmes ?

La législation paritaire, c’est son grand mérite, a rendu les femmes légitimes dans tous les lieux du pouvoir. Y compris dans les lieux non concernés par la loi, tels que la scène présidentielle, le conseil constitutionnel, et le gouvernement.

Durant les quinze premières années de la Ve République, les femmes sont quasiment absentes des instances exécutives. Le gouvernement de Michel Debré, en janvier 1959, ne compte qu’une seule femme : Nafissa Sid Cara, nommée secrétaire d’Etat aux affaires sociales en Algérie. La première rupture sera opérée en 1974 par Giscard d’Estaing, président jeune et moderne, qui met des « femmes à la barre ». Quoique souvent reléguées au second rang, et dans les affaires sociales. Simone Veil, ministre de plein exercice, nommée à la Santé, pour régler le difficile problème de l’avortement, fait figure d’exception. Puis la féminisation par le haut sera amplifiée par François Mitterrand, durant l’exercice de ses deux mandats présidentiels. S’il ne désigne aucune femme pour diriger des ministères régaliens, pourtant il brise un tabou, nommant Édith Cresson à Matignon, première femme et, à ce jour la seule, au poste de Premier ministre. 

D’autres étapes suivront, créant autant de ruptures symboliques fortes. Élisabeth Guigou, sera la première femme à diriger un ministère régalien, nommée à la Justice par Lionel Jospin, en 1997. Puis, sous le quinquennat de Sarkozy, trois femmes détiendront des portefeuilles régaliens dans le deuxième gouvernement Fillon, en juin 2007 : Rachida Dati à la Justice, Michèle Alliot-Marie à l’Intérieur, Christine Lagarde à l’Économie et aux Finances.  Enfin, en 2012, le gouvernement Ayrault constitue le premier gouvernement paritaire de la République.

Où en est-on aujourd’hui ? Dans le gouvernement de Jean Castex, formé en juillet 2020, les femmes sont majoritaires à 52,5%, plus nombreuses en haut de la hiérarchie, parmi les ministres de plein exercice et les ministres délégué·es qu’elles ne le sont parmi les secrétaires d’Etat. Toutefois, Florence Parly, nommée aux Armées, est la seule à détenir des pouvoirs régaliens.

À l’heure actuelle, les femmes restent proportionnellement plus nombreuses au gouvernement qu’au Parlement. C’est là une spécificité française, découlant du régime présidentialiste, qui donne au président de la République le pouvoir de donner l’impulsion, et de désigner des femmes aux plus hauts postes de l’exécutif. 

Les Français·es sont-ils prêt·es à élire une femme à la présidence de la République ? 

Sous la Ve République, le président de la République concentre entre ses mains l’essentiel des pouvoirs : cela induit l’idée d’une incarnation masculine sinon virile de la politique. En outre, l’élection au suffrage universel crée les conditions d’un patriarcat institutionnel. Seul·es les chef·fes de partis sont en situation de se porter candidat·es à la magistrature suprême. De fait, les deux premières élections, celle de 1965 et 1969 se jouent entre hommes.

Arlette Laguiller est la première à concourir à l’élection suprême en 1974, au nom de Lutte ouvrière. Mais à cette époque les représentations ne sont guère favorables à l’incarnation de hauts postes politiques par les femmes. En 1974, 69% des Français·es se disaient opposé·es à ce qu’une femme soit présidente de la République (sondage SOFRES). 

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Les femmes jouent un rôle croissant dans la compétition présidentielle. Deux femmes se sont déjà qualifiées pour l’accès au second tour : Ségolène Royal en 2007, au nom du Parti socialiste, Marine Le Pen en 2017 au nom du Front national. Désormais, l’opinion est prête à voir une femme accéder à la magistrature suprême : plus de 70% des Français·es estiment souhaitable qu’une femme soit présidente de la République (sondage Louis Harris, décembre 2019). La crise de leadership qui affecte les partis pourrait donner sa chance à un outsider femme en 2022. 

Propos recueillis par Caroline Flepp, 50-50 Magazine

Scarlett Beauvalet, Annie Duprat, Armelle Le Bras-Chopard, Mariette Sineau, Françoise Thébaud, Femmes et Républiques, préfacé par Michelle Perrot, Ed. La Documentation française, 2020.

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