DOSSIERS \ Média: les femmes toujours censurées Médias : où sont les expertes ?

L’annuaire Les Expertes Genre participe à la visibilisation de l’expertise sur les questions de genre. Au cours d’un webinaire organisé par le groupe Egae, Marlène Coulomb-Gully, experte de la représentation des femmes dans les médias et Lénaïg Bredoux, responsable éditoriale de l’égalité des genres à Médiapart, ont discuté de la place inégale des expertes dans les médias.

En 2020, seulement 41% des expert·es invité·es dans les médias français étaient des femmes. Parti de ce constat, en 2015, le Groupe Égaé lance le projet Les Expertes qui propose un annuaire numérique de femmes chercheuses, cheffes d’entreprise, présidentes d’associations et responsables d’institutions en France et dans le monde. En 2021, Égaé lance Les Expertes Genre, un annuaire gratuit qui recense 1230 expertes des questions de genre et d’égalité femmes/hommes. Ce projet, financé par le Forum Génération Égalité, a pour objectif de contribuer à la médiatisation de l’expertise sur les questions de genre et d’égalité femmes/hommes.

Dans le cadre du lancement des Expertes Genre, Marlène Coulomb-Gully et Lénaïg Bredoux échangent autour de la question « Le genre dans les médias : quelle place, quels enjeux ? ».

La place du genre dans les médias français

Aujourd’hui, les sujets explicitement consacrés au genre dans les médias représentent seulement 2 à 4 % de l’ensemble des sujets traités, affirme la chercheuse Marlène Coulomb-Gully. Cette carence découle du manque de considération envers les problématiques associées à l’inégalité femmes/hommes. Les sujets liés aux femmes sont souvent perçus comme des champs de production journalistique illégitimes et sont donc disqualifiés de l’actualité.

Cependant, le problème se situe plutôt dans la manière dont les médias travaillent sur la question du genre. Les médias ne traitent pas des femmes et des hommes de la même manière. Encore aujourd’hui, les femmes sont plus que les hommes appelées par leur prénom au lieu de leur nom complet. Elles sont plus souvent présentées comme femme de, fille de ou mère de, c’est-à-dire de façon non-autonome et leur profession est moins mentionnée que s’agissant des hommes. Plus encore, « elles sont moins sollicitées pour leur savoir, mais plutôt comme témoins et pour leur expériences personnelles », explique Marlène Coulomb-Gully.

Ainsi, les médias doivent adopter une approche plus transversale du genre dans le traitement de l’information. Le genre doit être « présent de manière continue et permanente dans ce qui fait l’actu », affirme Lénaïg Bredoux. Cette pratique est appelée le gender mainstreaming (l’ approche intégrée de l’égalité). Le gender mainstreaming consiste à intégrer les concepts du genre, de l’égalité et des droits des femmes dans tous les sujets traités.

Le genre, un outil d’analyse indispensable

Pourquoi la pratique du gender mainstreaming dans les médias est-elle fondamentale ? L’objectif des médias est de porter un regard impartial sur la société. Or, sans le prisme du genre, les journalistes ne peuvent documenter avec justesse notre réalité sociale. Selon Marlène Coulomb-Gully, le genre est un outil journalistique indispensable. L’intégrer dans le traitement de l’actualité permet de transmettre un regard sur le monde plus fidèle à la réalité.

Autre obstacle, l’économie et la politique, qui constituent le cœur de l’actualité, sont des domaines encore très masculinisés. Ainsi, le traitement de l’actualité fonctionne comme un cercle vicieux. Selon la chercheuse, « Les sujets qui font le cœur de l’actualité chaude privilégient les thématiques régaliennes dans lesquelles les femmes sont marginalisées ». Or, si les médias ne présentent pas de modèles féminins, les femmes garderont la conviction que leur genre ne leur permet pas d’accéder aux positions de pouvoir. Pour cette raison, il est indispensable de repenser la définition même de l’actualité pour que celle-ci intègre des problématiques plus larges liées aux femmes.

 La crise sanitaire et le traitement du genre

La crise sanitaire est un exemple frappant de l’absence de traitement du genre dans les médias. La pandémie affecte les femmes et les hommes de manière différente. Pour Marlène Coulomb-Gully, durant la crise, les médias ont « renvoyé les femmes à leur invisibilité coutumière ». Les confinements ont favorisé les violences conjugales envers les femmes et les enfants. Le télétravail aussi, affecte majoritairement les femmes. De plus, la première ligne face au Covid est largement féminisée. Cependant, la pandémie a disqualifié les femmes de l’actualité. Les militantes activistes se sont substituées aux journalistes pour porter les combats des femmes. Cet « oubli » des femmes témoigne d’un manque de prise en compte du prisme du genre dans le traitement de l’information. Cette réalité est celle de la moitié de la population. Ne pas la prendre en compte revient à biaiser notre compréhension du monde.

Intégrer le prisme du genre dans le traitement de l’information nécessite un processus au long terme. C’est justement le travail de Lénaïg Bredoux, journaliste responsable éditoriale de l’égalité des genres à Médiapart. En charge de la production éditoriale, elle peut décider d’accorder plus de place aux sujets traitant des femmes. Son rôle est aussi de rendre certains sujets plus transversaux, pour qu’ils intègrent le prisme du genre. La présence de « gender editorialist » comme Lénaïg Bredoux est de plus en plus fréquentes au sein des médias. Elle permet d’aller vers une actualité plus égalitariste.

De la même manière, certaines écoles de journalisme proposent des formations au genre à leurs élèves. Cet apprentissage permet de former des journalistes plus conscient.es de la dimension du genre. En résulte un traitement de l’information plus juste et plus équitable. Cependant, ces formations restent rares encore aujourd’hui.

Ilana Amarsy 50-50 Magazine

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