Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Un demi siècle après la loi Veil, le Haut Conseil à l’Egalité demande la constitutionnalisation de l’IVG

Le tout récent film l’Événement (2021) d’Audrey Diwan nous rappelle combien la loi Veil, vieille de quelque 47 ans, est fondamentale dans l’histoire des droits des femmes. Aujourd’hui, une femme sur 3 a recours à une interruption volontaire de grossesse dans sa vie. Ainsi, l’IVG est souvent considérée, notamment par les jeunes générations, comme un combat gagné par leurs aîné.es et une politique acquise. Cependant, les menaces au droit à l’avortement grandissent partout, remettant en cause des décennies de progrès pour les droits des femmes à disposer de leur corps : en France, avec les inégalités territoriales de l’offre de soins et l’urgence épidémique, en Europe, où vient d’être nommée une présidente anti-IVG à la tête du Parlement Européen, dans le monde, où les reculs du droit à l’avortement se multiplient.
A l’heure où l’avortement est réaffirmé par le Président de la République comme un droit qu’il est nécessaire d’inscrire dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il est urgent de lutter contre les nombreuses attaques qui menacent l’IVG en France, en consacrant les droits sexuels et reproductifs (1) dans notre constitution française (2). En France, le droit à l’IVG doit impérativement être défendu, effectif, et approfondi 
47 ans après la loi Veil, de nombreuses réformes successives ont permis d’améliorer l’effectivité du droit à l’avortement (3) : Première augmentation du délai légal de 10 à 12 semaines de grossesse, suppression du délai de réflexion pour les femmes majeures, suppression de l’autorisation parentale, gratuité, renforcement du délit d’entrave à l’IVG, extension des autorisations de certaines méthodes auprès de différents professionnel.les de santé en centres hospitaliers ou en centres de santé de ville…
Pour autant, ce droit fondamental n’est pas totalement acquis : la restriction de personnels et la suppression de centres pratiquant l’avortement lors de restructurations hospitalières est venu aggraver une pénurie préexistante de médecins pratiquant l’IVG et cela est tout particulièrement marqué dans certains territoires en tension (4). Ainsi, les femmes qui dépassent les délais, faute par exemple d’accès à un parcours de prise en charge efficace, s’engagent dans un parcours compliqué aux frais importants (pour celles qui le peuvent, environ 5000 femmes par an en France) en se rendant dans les pays où les délais légaux sont plus longs, mettant en lumière une inégalité économique entre les femmes.
 Face à cette difficulté d’accès à l’IVG, de nouvelles réformes sont indispensables. Préconisées dans le récent rapport d’information de l’Assemblée nationale (5), l’allongement du délai à 14 semaines de grossesse au lieu de 12 actuellement, la modification de l’article L. 2212‑8 concernant la double clause de conscience, ou encore l’autorisation de la pratique de l’IVG chirurgicale sous anesthésie locale par les sages-femmes (dans les établissements et les centres de santé habilités, sur la base du volontariat) paraissent essentielles (6). Le HCE salue la proposition de loi n° 3292 visant à renforcer le droit à l’avortement, à l’initiative de la députée Mme Albane Gaillot, et dont la dernière lecture à l’Assemblée nationale qui devrait avoir lieu le 23 février est très fermement attendue.
Le HCE déplore encore que le droit à l’avortement vieux de 47 ans ne soit toujours pas effectivement acquis. Assurer les droits sexuels et reproductifs des femmes doit être la priorité des pouvoirs publics. Il est donc urgent de développer et appliquer les mesures qui garantissent leurs accès et de les inscrire dans la constitution française. Cette reconnaissance du caractère fondamental des droits sexuels et reproductifs des femmes permettra alors de les promouvoir à l’échelle européenne.
Dans le monde et au sein de l’Union européenne, le droit à l’IVG est dangereusement menacé
Si quelques pays, comme l’Argentine ou le Bénin, ont récemment légalisé l’avortement, encore 26 Etats dans le monde l’interdisent totalement, tandis que d’autres restreignent sévèrement son accès, incitant les femmes à recourir à des avortements non sécurisés. Près d’un avortement sur deux dans le monde s’opère ainsi clandestinement. Chaque année, ce sont 47.000 femmes qui meurent des suites d’un avortement clandestin, soit une femme toutes les neuf minutes (7).
Des attaques contre les droits acquis de longue date sont à l’œuvre. Aux Etats-Unis, le droit à l’avortement établi par la Cour Suprême en 1973 (arrêt Roe contre Wade) est aujourd’hui menacé. Sous la pression des anti-choix, plusieurs Etats américains tentent de remettre en cause ce droit constitutionnel. Au Texas, une loi très répressive est entrée en vigueur en septembre 2021, interdisant l’avortement au-delà de six semaines. La Cour suprême, à majorité conservatrice depuis le mandat de Donald Trump, est saisie de ce texte. Les juges pourraient également profiter de l’examen d’une loi du Mississippi pour revenir près de 50 ans en arrière et réviser l’arrêt de 1973.
Le droit à l’avortement est menacé au sein même de l’Union européenne. Si l’avortement a été légalisé en Irlande en 2018, il reste totalement illégal dans l’un de ses Etats membres (Malte) et a été sévèrement restreint en Pologne, suite à un arrêt du Tribunal constitutionnel en 2020. Des attaques de mouvement anti-choix sont également à l’œuvre sur l’ensemble du territoire européen[8]. L’élection de Roberta Metsola, députée européenne maltaise connue pour ses positions anti-IVG, à la présidence du Parlement Européen le 18 janvier dernier constitue, en outre, un signal extrêmement négatif.
Des différences d’accès à l’avortement existent également au sein de l’Union européenne. Le délai légal pour avorter peut ainsi varier (de 10 semaines au Portugal à 24 semaines aux Pays-Bas), de même que les conditions posées (délai de réflexion, clause de conscience, remboursement ou non des soins etc.). Le Forum Parlementaire Européen pour les droits sexuels et reproductifs estime que 19 Etats membres de l’UE « réalisent des scores faibles ou moyens » en termes d’accès à l’avortement.[9]
La défense du droit à l’avortement doit être l’un des enjeux cruciaux de la Présidence française de l’Union européenne qui s’est ouverte en janvier 2022. La France, qui revendique depuis 2018 une diplomatie féministe et pilote, dans le cadre du Forum Génération Egalité, une coalition d’action internationale sur la liberté à disposer de son corps et les droits sexuels et reproductifs, doit prendre des positions ambitieuses (10) :
  • Reconnaître que le droit à l’avortement et les droits sexuels et reproductifs sont une valeur essentielle de l’Union européenne et une composante de l’Etat de droit, et que l’avortement ne saurait être ni pénalisé ni empêché au sein de l’Union européenne.
  • Faire inscrire effectivement, ainsi que l’a annoncé le Président de la République française le 19 janvier 2022, les droits sexuels et reproductifs et le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE et réviser l’article 6 du Traité sur l’Union européenne.
  • Intégrer, dans le mécanisme de conditionnalité des financements de l’Union européenne au respect de l’État de droit, le critère du respect des droits des femmes, y compris le respect du droit à l’avortement.
  • Harmoniser les conditions et les délais légaux pour avorter sur ceux des Etats les plus progressistes en Europe.

Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes

1 Les droits sexuels et reproductifs sont les droits de toute personne à décider librement et de manière éclairée de tous les aspects liés à sa sexualité, sans discrimination, coercition ou violence. Pour plus de détails voir OMS, 2006a, actualisé en 2010. Cette notion large recouvre de nombreux droits : à la contraception et à l’avortement, à l’information et à l’éducation en matière de sexualité, ainsi que la lutte contre les mariages forcés, les mutilations sexuelles et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, etc.2 voir également pour plus de détails l’Avis du HCE : Pour une Constitution garante de l’égalité femmes-hommes (2018)

3 voir également pour plus de détails le Bilan du HCE : Accès à l’avortement – D’importants progrès réalisés, un accès réel qui peut encore être conforté (2017)

4  Ministère de la Solidarité et de la Santé

5 Assemblée Nationale

6 Le Monde demain, Adapter l’IVG pour en garantir l’accès à toutes les femmes (2020)

 

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