Articles récents \ Monde \ Afrique Rhobi Samwelly, une «Marianne» contre l’excision

Lorsque nous nous rencontrons au métro Odéon, je la reconnais tout de suite : grande et joviale, la tanzanienne Rhobi Samwelly a l’air un peu perdue sur le quai. Normal, celle qui est parmi les 15 lauréates de « Mariannes » honorées cette année par le gouvernement français, n’a pas l’habitude des grandes villes. Avec ses compagnes, toutes femmes remarquées par la France pour leurs actions de terrain en faveur des droits humains, Rhobi Samwelly passe quelques mois à Paris où elle suit une formation. Elle raconte son parcours, celui d’une jeune fille marquée par les drames provoqués par l’excision qui a décidé, devenue adulte, de tout faire pour l’éviter aux autres. Depuis 2017, son association « Hope for women and girls Tanzania » a réussi à protéger plus de trois mille jeunes filles.

« Je viens de la région des Masaï, le Mara près du Serengeti, née dans un petit village, où 35% des filles sont traditionnellement excisées avant de se marier. Je ne l’ai pas été avant l’âge de 14 ans, mais j’avais vécu auparavant la mort de ma meilleure amie, Sabeena, décédée d’hémorragie, dont on a ensuite jeté le corps dans le bush… Ma mère a eu beau me dire qu’il ne m’arriverait rien, que cette fois-ci la lame de l’exciseuse serait meilleure, j’étais tellement décidé à l’éviter que je me suis d’abord enfuie à pied, espérant rejoindre une ville. Et puis, réalisant que cela signifiait renoncer à continuer d’aller à l’école, j’ai fini par rentrer chez mes parents et accepter d’être mutilée, puis mariée. Où aurais je pu aller, de toute façon ? Mais l’excision ne s’est pas non plus bien passée : je suis tombée plusieurs jours dans le coma et ma famille a pensé que moi aussi j’étais morte…Quand j’en suis sortie, tou·tes autour de moi sanglotaient. Cela a finalement convaincu ma famille d’épargner ma petite sœur ! »

C’est ce jour là que Rhobi Samwelly s’est fait à elle-même la promesse de ne plus voir d’autres filles vivre ce cauchemar. Elle utilise aujourd’hui son témoignage pour émouvoir celles/ceux qu’elle veut convaincre. Et ça marche ! Mais parler ne suffit pas. Et c’est à la lutte contre les violences faites aux femmes, toutes les violences, mutilations sexuelles mais aussi mariage forcé et violences domestiques, qu’elle a décidé de consacrer sa vie. Après avoir travaillé quelques années dans un centre tenu par une  église locale sur des programmes de formations contre ces violences, elle a fini par créer sa propre organisation, soutenue à la fois par le gouvernement tanzanien, l’église catholique et une ONG allemande. 

« Je suis consciente que si une association comme la mienne avait existé à l’époque, j’aurais pu être protégée. Alors nous avons créé deux centres, des « safe houses », où les jeunes filles viennent se réfugier lorsqu’elles mêmes, ou parfois leurs parents, refusent la tradition de l’excision. En sécurité, elles peuvent y étudier et apprendre un métier, souvent la couture  mais aussi, pour les élèves les plus brillantes, réaliser leur rêve de devenir médecin lorsque nous trouvons des sponsors pour les soutenir ! »

Une organisation de dépistage des jeunes filles en danger

Mais comment procéder, face à l’hostilité de communautés qui voient d’un très mauvais œil ces jeunes filles s’opposer à une tradition très ancienne ? La jeune Tanzanienne et son équipe ont mis au point toute une organisation de dépistage des jeunes filles en danger ainsi que de circulation de l’information : « Dans chaque village  » explique-t-elle  » nous avons des « digital champions » munis d’un smartphone, qui nous préviennent si des jeunes filles sont à risque et aident les filles à se cacher en attendant notre arrivée. Nous prévenons aussi la police car les mutilations sexuelles sont interdites par la loi. Plus tard, après la saison où sont organisées ces cérémonies, nous revenons parler aux chefs et aux familles, pour leur expliquer les dangers de cette tradition. Sans oublier qu’une question d’argent est en jeu : la dot du mariage, mais aussi la paie de l’exciseuse ou même du chef du village… »

Rhobi Samwelly s’enflamme lorsqu’elle parle de son action, mais aussi quand on lui demande de raconter ce qu’elle vit aujourd’hui à Paris, grâce à sa récompense : « Je suis si surprise d’avoir été choisie par ce programme lancé par votre ministère des Affaires Etrangères en décembre dernier ! C’est si motivant de voir que je ne suis pas seule, d’échanger avec toutes les autres qui comme moi, défendent les droits humains dans leur propre pays, que ce soit en Asie ou en Amérique latine ! Nous suivons des cours, découvrons des instances comme la Cour européenne de justice, visitons des centres d’accueil pour femmes victimes ou des bureaux de vote ou, tout simplement, apprenons comment manier les réseaux sociaux, enfin tout ce qui pourra nous aider dans notre futur travail. Pour moi cependant, l’important serait de rencontrer d’autres sponsors, pour pouvoir construire une nouvelle maison pour nos jeunes filles… »

Moïra Sauvage 50-50 Magazine

Les Mariannes

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