Articles récents \ DOSSIERS \ Cybersexisme : quand les femmes prennent trop de place sur Internet Lucile Peytavin : « Sur Linkedin … Il y a beaucoup de mansplaining »

Lucile Peytavin et les réseaux sociaux

Lucile Peytavin, docteure en histoire et féministe engagée, a écrit Le coût de la virilité. Elle milite sur les réseaux sociaux. Bien qu’elle se considère relativement épargnée par le cybersexisme dans ses formes les plus exacerbées, elle n’est pas à l’abri du mansplaining.

Qu’avez-vous cherché à démontrer avec le coût de la virilité ?

J’ai écrit un essai intitulé Le Coût de la virilité, qui, comme son nom l’indique, cherche à calculer ce que la virilité coûte chaque année en France. Dans ce livre, j’explique que l’écrasante majorité des comportements asociaux ont pour responsable des hommes. Pour ne citer que quelques chiffres de l’étude : 86% des assassins sont des hommes, 84% des responsables d’accidents mortels sur la route sont des hommes, 99% des violeurs sont des hommes, etc…

Depuis la publication de cet essai, je suis conférencière et je sillonne la France pour parler de mon étude sur ce sujet. Les publics de ces conférences sont très variés : je suis invitée à parler devant des entreprises, des collectivités territoriales, des événements féministes et des lycées. J’ai donc la chance de pouvoir parler de virilité devant les premiers concernés : les hommes. Quand ils sont au rendez-vous et que je ressens une certaine crispation, j’aime commencer mon intervention en rappelant que je ne suis pas là pour “casser” les hommes mais pour parler d’éducation et de schéma culturel. Ce rappel est en quelque sorte mon drapeau blanc, il fait baisser la tension. Tension qui est déjà palpable avant même que je ne commence à parler, juste parce qu’ils ont lu le titre de la conférence.

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En parallèle de ces conférences, vous êtes aussi très présente sur les réseaux sociaux. Pourquoi ce choix ? 

C’est vrai que je m’exprime beaucoup sur Instagram, Twitter, Facebook et LinkedIn. J’utilise ces plateformes pour toucher un plus grand nombre mais pas seulement. Je pense que les réseaux sociaux sont un bon endroit pour réagir à l’actualité. Je suis souvent interpellée par ce que les médias mettent en avant. Quand ils parlent de comportements asociaux, ils passent souvent à côté des vraies causes. Par exemple, ils aiment parler de milieux sociaux et d’immigration pour dresser le profil type de la délinquance et de la criminalité alors que le facteur déterminant, c’est le sexe.

Encore cet été avec les incendies, les médias accusaient la sécheresse mais ils n’ont pas réussi à identifier que dans 90% des cas, la cause est humaine et que dans 99% des cas d’incendies volontaires, ce sont des hommes qui sont responsables. Ils n’arrivent pas à mettre le doigt dessus. Je réagis donc sur les réseaux sociaux pour rebondir sur ces sujets et parler de la réalité des statistiques pour qu’il y ait une prise de conscience.

Comment vos vidéos sont-elles reçues par les utilisatrices/utilisateurs ?

Les retours sont très positifs. Je suis souvent remerciée sur les réseaux sociaux comme lors des conférences. Ce sont avant tout les femmes qui me félicitent mais quelques hommes le font également. On m’a déjà dit “ votre livre m’a permis d’ouvrir les yeux ”. Des femmes me disent souvent aussi qu’elles vont offrir le livre à leur frère/mari/fils. Il parle aux gens. Les hommes se retrouvent dans ce que j’écris et le fait de s’en rendre compte peut leur permettre de changer leur approche de la virilité. Des hommes m’ont expliqué que depuis qu’ils l’ont lu, ils ont vu un changement dans la façon dont ils vivent leurs amitiés. Ils laissent tomber des barrières devant leurs amis et se permettent d’être vulnérables devant eux, ce qu’ils n’osaient pas faire auparavant.

Je n’ai jamais subi de harcèlement et je ne suis pas insultée, contrairement à de nombreuses autres féministes. Je pense que cela s’explique assez facilement dans mon cas. Le fait que je prenne un angle économique me protège beaucoup. C’est une science que les hommes voient comme étant leur terrain en quelque sorte. Mon étude est très pragmatique. Je ne parle que de chiffres et de statistiques. Cet angle parle aux hommes puisque depuis tout petit, ils sont élevés pour être à l’aise avec ce type d’argumentaires. Je n’avance pas d’opinion, je relate des faits. Difficile de s’attaquer à moi de ce fait. C’est une sacrée chance. Mais ce serait mentir de dire que personne n’essaie.

Il y a donc des exceptions à la règle ?

Oui, j’ai aussi des retours négatifs. Surtout sur Twitter. Généralement, quand je fais un post sur cette plateforme, j’attends quelques jours avant de me connecter et de lire les commentaires. Je sais qu’ils sont rarement bienveillants. Donc même si je ne me laisse pas atteindre, c’est sûr que ce n’est pas la meilleure partie de la journée.

Avec Instagram, c’est différent. Je me permets plus de choses. Comme si la liberté d’expression était plus grande pour moi sur cette plateforme. En stories, j’aime m’attaquer à la virilité avec un peu plus d’humour. La différence entre ces deux plateformes, c’est à nouveau le sexe des utilisatrices/utilisateurs. Twitter est majoritairement masculin alors que Instagram est majoritairement féminin. Je ne pense pas que ce soit un hasard.

Sur LinkedIn, il y a aussi beaucoup d’hommes mais le dialogue est quand même plus argumenté et poli. Je suis souvent confrontée à des gens qui ne sont peu ou pas sensibilisés à ces questions, parfois même réfractaires. Il y a beaucoup de mansplaining de ce fait. Ce sont des hommes qui n’ont jamais lu mon livre, qui n’avaient jamais réfléchi à la question avant de tomber sur mon post il y a 3 min, mais qui se permettent tout de même de tout remettre en question : la méthodologie, le sujet, les sources… Ils emploient des mots compliqués pour se montrer plus rigoureux que moi et jeter un doute sur le sérieux de mon travail. Ironiquement, ils font des amalgames énormes entre homme et virilité, entre féminité et féminisme par exemple. Ils essaient de me parler de métiers pénibles alors que ça n’a rien à voir avec ce dont je parle. On m’a même déjà comparée à Eric Zemmour ! On m’accuse aussi régulièrement de mentir sur mes diplômes. Certains ont été jusqu’à aller vérifier que j’avais bien un doctorat. Malheureusement pour eux, ils ont facilement trouvé ma thèse et ma date de soutenance puisque tout est disponible sur Internet.

Je ne prends que très très rarement le temps de leur répondre. J’estime que c’est leur donner trop de crédit. Une radio m’avait proposé de débattre avec un homme sur leur antenne mais j’avais refusé parce que l’homme en question avait clairement passé un quart d’heure à faire de minces recherches pour s’attaquer à mon travail alors que pour moi, c’est le fruit d’années de travail. Son argument principal c’était “ qu’en est-il de la liberté individuelle ? ”… Si dans son système de valeur il ne fait pas la différence entre liberté individuelle et atteinte à autrui, oubliant au passage les lois, je ne veux pas lui apporter de visibilité en débattant sur un média avec lui.

Des expériences en particulier vous ont marquée ? 

Un masculiniste a fait une vidéo d’une demi-heure pour réagir à une interview Brut de 3 min. Je ne suis pas la première. Il fait des vidéos sur toutes les personnes féministes ou même juste progressistes. Il se dit sociologue alors qu’il ne l’est pas. L’argumentaire de sa vidéo n’est pas très costaud. Il en vient même à se moquer de ma voix, ce qui montre le niveau. Derrière lui, il a un groupe de fans à qui il vend des solutions pour “ mieux s’en sortir avec les femmes ”. Ce sont des misogynes et des masculinistes en formation donc. Ces hommes, après avoir vu sa vidéo, ont voulu venir m’embêter. Le mouvement s’est vite essoufflé mais j’ai quand même eu l’occasion d’en apprendre un peu sur eux. Ils mettaient des médailles en commentaire de mes posts, c’est un signe masculiniste pour s’en prendre aux féministes apparemment.

Une de mes pires expériences s’est passée lors d’une conférence devant des élèves hauts fonctionnaires. Je n’ai pas été agressée physiquement ou verbalement mais c’était violent quand même. Après le « moment d’échange », au cours duquel ils ont essayé par tous les moyens de trouver la faille à mon étude, ils m’ont opposé un refus « idéologique » me disant que pour eux « je ne calcule pas le coût de la virilité » sans plus de précisions… La personne m’ayant invitée était livide. Elle s’est excusée de leur comportement et a confirmé ce que je pensais, ils ne se seraient jamais comportés ainsi devant un expert homme ou sur un autre sujet. Même si je suis sûre de moi, cette volonté de déstabilisation et de mise en doute de ma parole est parfois dure à vivre.

Les féministes ont trop intégré que c’était normal de souffrir si on fait de l’activisme. J’ai même déjà entendu que s’il n’y a pas de friction, alors notre féminisme ne sert à rien. C’est peut-être vrai dans le fond mais ce n’est pas normal. On devrait pouvoir avoir des débats d’idées mais pas de cette façon.

Propos recueillis par Eva Mordacq 50-50 Magazine 

Lire aussi : Lucile Peytavin et Lucile Quillet : Ce que le patriarcat coûte aux femmes et à la société 

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