Articles récents \ France \ Société Lucie Daniel : « Il faut que l’expertise genre soit renforcée dans toutes les instances de lutte contre le VIH »

A l’occasion du 1er décembre, la journée internationale de lutte contre le VIH, Lucie Daniel revient sur la place des questions de genre dans cette pandémie. Elle est experte plaidoyer pour l’association Equipop, une association féministe de solidarité internationale qui se mobilise en France et en Afrique de l’Ouest sur les enjeux liés aux droits sexuels et reproductifs. La prévention contre le VIH fait partie intégrante de son mandat. 

Les enjeux liés au genre sont-ils toujours considérés comme des enjeux secondaires dans la lutte contre le VIH ? 

En 1995, lors de la conférence de Pékin pour les droits des femmes, les associations féministes avaient déjà mis en lumière la nécessité d’intégrer davantage les enjeux d’égalité de genre à la lutte contre le VIH. Les États de l’ONU s’étaient engagés à agir sur ces questions, notamment en favorisant la participation des femmes et des femmes vivant avec le VIH dans l’élaboration des politiques publiques. 27 ans plus tard, le compte n’y est toujours pas.

On voit qu’il y a une réalité épidémiologique, notamment en Afrique sub-saharienne. Les jeunes femmes et les adolescentes sont touchées de manière disproportionnée par le VIH. Dans son dernier rapport, l’ONUSIDA estime qu’en 2021, toutes les deux minutes dans le monde, une adolescente ou une jeune femme supplémentaire a été infectée par le VIH. Ce rapport souligne aussi que les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans sont trois fois plus susceptibles de contracter le VIH que les jeunes hommes du même âge en Afrique sub-saharienne. Il y a donc un vrai enjeu autour de l’impact de la pandémie chez les femmes. 

Malgré cela, on voit aussi que du point de vue de la gouvernance, c’est-à-dire la façon dont les politiques publiques de lutte contre le VIH sont conçues, ce sont les réseaux de femmes et de féministes qui sont encore bien souvent marginalisés et assez peu entendus. Il y a donc encore beaucoup de travail à effectuer. 

Les enjeux liés au genre ne sont absolument pas secondaires dans la lutte contre le VIH mais ils sont tout de même traités comme tels. 

Quelles sont les raisons de la surexposition des femmes au VIH ?

La surexposition des femmes au VIH est liée aux rapports de pouvoir sexistes qui existent dans à peu près toutes les sociétés. Ces rapports de pouvoir s’exercent dans un premier lieu dans la sphère sexuelle. Voici quelques exemples : la difficulté pour des femmes d’exiger le port du préservatif, les tabous liés à la sexualité des adolescentes qui n’osent de ce fait pas se présenter dans un centre de santé sexuelle, l’impact des violences sexuelles qui sont également un facteur de contamination au VIH. 

Le rapport de pouvoir s’exerce donc aux dépens des femmes dans la sphère sexuelle mais aussi dans la sphère publique. Je trouve qu’en matière de VIH, le slogan des féministes “Le privé est politique” est particulièrement parlant puisque finalement on retrouve aussi dans les instances de décision de lutte contre le VIH des rapports de pouvoir basés sur le genre. Les femmes et les militantes vont avoir plus de difficultés à se faire entendre. C’est pour cela qu’à Equipop nous pensons qu’un des principaux leviers pour combattre le VIH c’est justement de mettre en place des actions qui visent à transformer ces rapports de pouvoir. Il faut mettre en place des programmes d’éducation à la sexualité qui vont permettre de déconstruire les stéréotypes de genre et prévenir les violences sexuelles.

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Quelles sont les actions d’Equipop pour faire avancer les choses ?

Equipop et ses partenaires travaillent principalement sur deux axes : 

D’abord, nous menons des actions de soutien organisationnel et d’accompagnement des associations de terrain. Nous travaillons aussi pour mettre en réseau de jeunes militantes féministes puisque nous avons constaté qu’elles manquaient d’espaces d’échange et de dialogue. Ce qui est crucial pour faire émerger une parole commune sur ces questions.

Ensuite, nous avons aussi un travail de plaidoyer. Notre plaidoyer en France est à destination du gouvernement. Nous poussons la France à porter une voix diplomatique forte dans la lutte contre le VIH, notamment dans sa dimension genrée. En 2019, la France a officiellement annoncé adopter une diplomatie féministe et nous travaillons à faire en sorte que cette diplomatie féministe se concrétise dans les différents domaines de la politique étrangère de la France. Nous cherchons à nourrir son positionnement et à pousser le gouvernement à prendre des engagements forts en matière de lutte contre le VIH et contre les inégalités de genre. Il faut savoir que la France siège dans les conseils d’administration d’un certain nombre d’organisations internationales comme celui du fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, qui est le principal instrument multilatéral pour lutter contre ces trois pandémies. A ce titre, la France a une voix dans le conseil d’administration et nous pensons que cette voix doit être la plus féministe possible. Nous travaillons étroitement avec le collectif inter associatif VIH qui réunit les associations de lutte contre le VIH françaises. 

Que devrait faire la France ? 

La France devrait utiliser les leviers diplomatiques en sa possession. Dans les conseils d’administration où elle a une voix, elle doit défendre une vision féministe de la santé mondiale et notamment de la lutte contre le VIH. Ensuite, la France finance des programmes de lutte contre le VIH et nous pensons que ces programmes doivent s’attaquer de front à la question des inégalités. Par exemple en finançant des actions qui peuvent transformer les rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes, ce qui passe par l’éducation complète à la sexualité. 

Il faut aussi soutenir les associations féministes puisque ce sont des actrices de premier plan dans la remise en cause de cet ordre patriarcal. C’est très important que la France augmente son soutien financier à ces associations et qu’elle devienne une allié des luttes féministes dans le monde. 

Il y a aussi un enjeu autour de la recherche genre VIH : il faut renforcer l’expertise genre dans toutes les instances de lutte contre le VIH. Il faut réfléchir à une gouvernance dans laquelle la voix des femmes et des féministes est vraiment entendue. Cela demande un travail de renforcement des associations féministes et un changement de culture dans toutes ces organisations qui, historiquement, n’ont pas donné aux femmes et aux féministes la place qu’il fallait.

On connaît les raisons de l’exposition des femmes, on connaît les solutions puisqu’elles sont portées par les féministes depuis des années, mais le changement met du temps à s’opérer. Il faut que les choses bougent.

Propos recueillis par Eva Mordacq 50-50 Magazine 

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