Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Virginie, 19 ans chez les pompières/pompiers volontaires

Virginie a passé 19 ans chez les pompières/pompiers volontaires dans les Hauts de France. Etant une femme dans un milieu traditionnellement masculin, elle a été confrontée au sexisme, surtout au début de sa carrière. Aujourd’hui elle estime qu’être une femme dans ce domaine peut être un atout.

Déjà toute petite, je n’avais que ça en tête : je voulais être pompière. Quand les camions de pompiers passaient dans ma rue avec les gyrophares à fond, je restais scotchée à la fenêtre pour les regarder. C’était la seule et unique passion qui m’intéressait. Il fallait que je sois pompière.

C’est lorsque j’ai commencé à en parler à ma mère que les choses se sont compliquées. Elle m’a tout de suite dit que c’était trop dangereux, que je n’allais pas réussir, qu’il fallait des muscles, que c’était un “ boulot d’hommes ”. Je me suis dit qu’elle n’avait peut-être pas tort puisque, après tout, je ne voyais pas de femmes dans ces camions rouges. J’ai donc décidé de lâcher l’affaire. Et pendant des années j’ai réussi à m’y tenir, même si cette idée continuait à me trotter dans la tête.

Un jour, à 18 ou 19 ans, j’ai vécu un événement qui aurait pu se transformer en drame mais qui a en fin de compte défini ma carrière. C’était pendant les vacances. J’étais toute seule dans l’appartement de mon oncle et je regardais la télé dans le canapé. J’ai entendu dans le couloir du palier des bruits bizarres. Il y avait comme des cris d’enfants. J’ai regardé par l’œilleton de la porte et j’ai vu un petit garçon, seul, qui courait à droite à gauche. Inquiète, je suis sortie pour lui demander ce qu’il se passait. J’ai tout de suite vu de la fumée s’échapper de la porte d’à côté. Il m’a dit qu’il y avait le feu. Je lui ai demandé où était sa mère, mais il m’a répondu qu’elle était partie voir sa copine et que son petit frère et sa petite sœur étaient encore dans l’appartement. Je suis donc rentrée chez lui et j’ai vu la friteuse en flammes. Dans une chambre, j’ai trouvé un petit garçon de quatre ou cinq ans et sa sœur dans un berceau. Je les ai tou·tes les deux sorti·es puis je suis rentrée pour m’occuper de la friteuse. La maman de ces petit·es, dont l’amie habitait l’appartement du dessus, avait fini par entendre les cris et elle est venue me demander ce que je faisais chez elle. Je lui ai expliqué et elle a emmené ses enfants en me dévisageant. Je n’ai pas eu un merci ce jour-là. Malgré tout, j’étais contente en rentrant chez moi. Toute l’après-midi je me suis répétée : “ Heureusement que j’étais là et que j’ai su garder mon sang-froid ”

Après ce jour, mes rêves de gamine sont revenus puissance dix. Mon oncle m’a dit : “ Tu devrais essayer de passer les tests pour devenir pompière. Si c’est vraiment fait pour les hommes, ben c’est fait pour les hommes et c’est tout, tu passeras à autre chose”. Je n’avais en effet rien à perdre, alors j’ai écrit une lettre de motivation et un CV que j’ai envoyés à la caserne la plus proche. Ensuite je me suis présentée aux tests de sélection, que j’ai réussis. J’ai donc fait mon sac et je suis partie pour entamer la formation d’un an.

Pour être pompière/pompier, il faut réussir les examens spécifiques à chaque véhicule. Il y a un examen pour le camion d’incendie, un autre pour le camion de désincarcération et encore un autre pour l’ambulance. Ils consistent en des tests sportifs, des formations de secourisme et des entretiens de motivation. J’ai réussi tous ces examens et j’ai donc été affectée à ma caserne pour être pompière volontaire. 

À mon arrivée à la caserne, il y avait une cinquantaine de personnes, dont une seule femme. Au début, je m’étais dit que ça n’allait pas me faire peur de travailler avec des hommes. Mais les hommes sont souvent “ taquineurs ”, alors dès qu’une fille rentre, il y a des réflexions : “ Tu sais il faut des forces ”, “ Tu sais on court ”, “ Tu sais il faut porter ”. Moi je rentrais toujours dans leur jeu et je leur disais qu’il n’y avait pas de souci en sortant un peu les épaules mais dans ma tête je me répétais : “ Pourvu que j’y arrive… ”  Je faisais la caïd mais j’avais peur quand même au fond. Quand il allait vraiment falloir porter quelqu’un de 130kg, j’avais peur de ne pas être à la hauteur. 

Les tests de sport, c’est deux fois par an, donc à chaque fois j’avais ces mêmes remarques : “ Pour toi c’est 12 pompes c’est ça ? ” ou “ Tu travailles la souplesse ? ”. Je me donnais à fond pour garder la face. Trois jours après, j’avais toujours mal au dos mais ce n’était pas grave, j’avais quand même réussi à suivre. En fin de compte, c’est comme ça que j’ai réussi à m’intégrer. Je pense que ça a duré un an et demi à peu près. Après, les remarques se sont transformées. J’ai commencé à entendre : “ Ouais, tu tiens la route en fin de compte ”, “T u nous as surpris ”, “ T’as bien su t’intégrer ” et puis après je n’ai plus jamais été traitée différemment. 

Aujourd’hui, nous sommes à peu près 90 dans la caserne et il y a 9 femmes. Donc il n’y a pas eu d’amélioration en termes de parité. Je vois trois raisons à cela : encore aujourd’hui, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à se présenter aux examens d’entrée, certaines femmes ne réussissent pas les tests sportifs et certaines sont prises mais ne parviennent pas à s’intégrer. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer. Beaucoup de gens, moi la première au début, se trompent et pensent que c’est une activité impossible pour les femmes, mais c’est faux. 

J’ai même déjà entendu plus d’une fois : “ C’est bien qu’il y ait une femme ”. Ces réflexions viennent souvent de la part de femmes, mais certains hommes me l’ont déjà dit aussi. Par exemple, quand on part pour un accouchement, généralement la femme en face de nous est contente de me voir. Je l’entends aussi quand il s’agit d’une dame âgée qui a glissé dans la douche et qui n’arrive pas à se relever toute seule : elle est gênée dans tous les cas mais un peu moins si c’est une femme qui l’aide à se relever et à se couvrir. C’est bien aussi d’avoir une femme dans les interventions pour tentative de suicide par exemple. Une fois, j’ai été appelée avec deux de mes collègues qui sont des hommes pour une femme qui s’était enfermée dans sa chambre et qui disait vouloir en finir. Quand nous sommes arrivé·es, elle n’a voulu parler qu’à moi et m’a laissée entrer. Le fait de discuter avec une autre femme a semblé la rassurer. 

Dans les Hauts de France, des projets de restructuration sont en cours afin que les femmes puissent plus facilement accéder à cette activité. À la direction, elles/ils se sont demandé·es “ Pourquoi y a-t-il si peu de femmes qui candidatent dans le milieu des pompières/pompiers ? ”. J’ai donc reçu, comme toutes mes collègues femmes, un questionnaire. Il y avait des questions du type : “ Êtes-vous bien intégrée ? ”, “ Avez-vous des soucis avec les hommes ? ”, “ Dans quel domaine vous sentez-vous le mieux ? Incendie, désincarcération ou secourisme ? ) ”. De là, elles/ils ont étudié nos réponses et la direction s’est demandée s’il ne serait pas judicieux de proposer aux candidatures féminines de pouvoir exclure un domaine comme les incendies ou les désincarcérations. Ainsi, si une femme ne se sent pas capable d’aller au feu mais qu’elle aimerait aller en ambulance, elle pourrait quand même devenir pompière volontaire. Ce serait éventuellement une piste à explorer dans le futur pour inciter plus de monde à rejoindre les pompières/pompiers, notamment les femmes. 

Témoignage recueilli par Eva Mordacq

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