Articles récents \ DOSSIERS \ La diplomatie à l’épreuve du féminisme LA DIPLOMATIE FEMINISTE OU COMMENT S’OPPOSER A LA SUBORDINATION SYSTEMIQUE ET MONDIALE DES FEMMES

Depuis 2019, date à laquelle la France s’est dotée officiellement d’une diplomatie féministe, on commence à en entendre parler dans les milieux professionnels spécialisés ou dans le mouvement féministe. Mais lorsqu’on creuse un peu, on se rend compte que le concept reste souvent flou et la définition imprécise.

De fait , Il n’existe à ce jour aucun texte adopté au plan international qui la définisse, tant la référence au féminisme et son introduction dans le champ de la politique étrangère sont encore nouvelles. La diplomatie féministe gagnera à préciser ses contours au plan international.

De quoi s’agit-il exactement ? Dès 2020, dans un rapport intitulé D’un slogan mobilisateur à une véritable dynamique de changement , le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) proposait la définition suivante :  » La diplomatie féministe est la politique d’un État qui place l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté et les droits des femmes, la lutte pour l’abolition du patriarcat au cœur de son action extérieure, dans l’ensemble de ses dimensions (aide publique au développement, diplomatie stricto sensu, commerce et économie, culture, éducation, influence, défense et sécurité, climat et environnement…) « 

Pour comprendre l’origine de cette notion récente, il faut revenir aux sources.

Octobre 2014. Margot Walström est alors la ministre suédoise des Affaires étrangères. C’est elle qui crée et fait valider l’idée d’une politique extérieure féministe, ou diplomatie féministe comme nous l’appelons en France. Pour la Suède, il s’agit de promouvoir dans sa politique étrangère l’égalité entre les sexes et de garantir aux filles et aux femmes la jouissance de leurs droits fondamentaux. L’objectif, selon la ministre Wallström, est de « s’opposer à la discrimination et à la subordination systémique et mondiale des femmes. »

Octobre 2022. Preuve, s’il était besoin de le rappeler, que les droits des femmes ne sont jamais définitivement acquis, la Suède assoit au pouvoir un gouvernement de droite qui s’appuie sur l’extrême droite. L’une de ces premières décisions est l’abandon de sa diplomatie féministe, au prétexte que  » nous n’allons pas employer l’expression ‘politique étrangère féministe’ parce que les étiquettes ont eu une fâcheuse tendance à l’emporter sur le fond  » annonce le nouveau ministre des Affaires étrangères. Dont acte. Pourtant, si l’un des Etats pionniers de l’égalité entre les femmes et les hommes, la Suède, a elle-même peur du terme ‘féministe’, alors quel message peut-elle bien envoyer au monde sur l’importance d’une diplomatie féministe dans un monde en crise?

Heureusement en moins de dix ans l’idée commence à faire école. Une dizaine de pays a d’ores et déjà adopté une diplomatie féministe ou politique extérieure féministe et une dynamique semble engagée dans ce sens. A la suite du Canada en 2017 et de la France en 2019, le Mexique, l’Espagne, le Luxembourg, le Chili, l’Allemagne, la Colombie et le Libéria ont rejoint le groupe et d’autres, comme la Libye ou l’Argentine, le Royaume Uni ou les Etats-Unis, annoncent vouloir le faire.

On l’aura compris, pas de définition précise, unique et universelle de la diplomatie féministe et des approches très variables selon les pays, autant que mouvantes au gré des élections dans chacun d’entre eux. Mais pour l’essentiel, ceux qui l’adoptent s’engagent tous dans la promotion de l’égalité femmes/hommes,  le respect des droits des femmes et plus largement des droits humains,  le droit à la sécurité pour chacun et chacune, l’émancipation économique des femmes, leur intégration à la reprise économique et aux actions de protection de l’environnement, leur participation aux négociations et accords de paix et de coopération, ou encore le partage de la gouvernance et de la prise de décision dans l’ensemble des domaines : politique, économie, sécurité, défense, santé, paix, sciences, climat, numérique…

La diplomatie féministe à la française

Pour rendre plus concrète la diplomatie féministe à la française, le HCE propose encore de l’appuyer sur six principes fondamentaux :

– Les droits : placer la liberté, les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de l’action extérieure.

– La représentation des femmes : assurer la pleine participation des femmes (personnels de l’État et mouvements féministes) à la co-construction et à la mise en œuvre de la diplomatie féministe.

– Les ressources : Mobiliser des ressources conséquentes et pérennes, à la hauteur de l’enjeu et des ambitions.

– Une approche transformative qui vise à abolir les structures inégalitaires du pouvoir patriarcal et qui s’inscrit dans la durée.

– Une organisation institutionnelle dédiée et pérenne, qui permet d’assurer une coordination et une mise en cohérence des politiques menées et qui inclut un système de redevabilité  (1).

– L’affirmation d’une solidarité internationale avec les femmes en lutte pour leurs droits et leur liberté.

« Pour ce faire, la diplomatie féministe assure la participation, à parts égales, des femmes et des mouvements féministes (dans le pays et à l’extérieur du pays) à sa co-construction et à sa mise en œuvre. Elle alloue des ressources importantes sur la durée à la réalisation de cet objectif et elle met en place, au sein de l’État, une organisation institutionnelle et administrative dédiée et pérenne, qui permette d’assurer la cohérence des politiques et qui inclut un système de redevabilité*  » (page .. du rapport du HCE précité)

Une réelle volonté politique, mais une mise en œuvre poussive

Si on peut reconnaître une réelle volonté politique, sa mise en œuvre reste poussive. C’est là que le bât blesse. Même notre ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, qui pourtant défend avec conviction les droits humains et les droits des femmes sur la scène internationale,  oublie de nommer la diplomatie féministe quand elle signe une tribune avec dix de ses homologues en faveur des Afghanes et des Iraniennes, ou quand elle rencontre son homologue canadienne, Mélanie Joly, la représentante de l’autre pays leader de la diplomatie féministe avec la France sur les enjeux internationaux communs. Or, c’est précisément de la diplomatie féministe ! Mais, du concept à son incarnation par celles et ceux-là mêmes qui devraient le porter, l’appropriation de cette approche éminemment politique de la société reste encore à faire.

A cela s’ajoutent des moyens financiers et humains pas du tout à la hauteur des enjeux. Une administration qui fait au mieux dans la mesure de ses ressources humaines trop faibles, mais au sein de laquelle le concept même ne semble pas se diffuser au-delà des services spécialisés, alors que c’est autant l’affaire des ministères de l’Intérieur, des Armées, de la Justice, de l’Economie et des Finances que du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Une participation des femmes encore beaucoup trop faible aux postes de décision de ces ministères régaliens fortement concernés par la dimension internationale. Une société civile féministe trop peu concertée pour la co-construction d’une diplomatie féministe efficace.

Il reste encore du chemin pour que la diplomatie féministe fasse partie intégrante du paysage politique. Mais aujourd’hui plus que jamais, les Etats de droit cèdent le pas partout dans le monde aux régimes autoritaires, ultra conservateurs ou religieux mais toujours misogynes, lesquels s’en prennent en premier lieu aux droits humains ainsi qu’aux femmes, parce qu’elles sont des femmes. Le grave recul des droits des femmes, dû aux crises successives depuis la pandémie Covid et aux velléités expansionnistes des autocrates de tout poil, exige que les démocraties se regroupent et fassent front commun. Plus les Etats de droit seront nombreux à intégrer l’égalité des sexes et le respect des droits fondamentaux des femmes au cœur de leur politique, mieux l’humanité et notre planète s’en porteront. La diplomatie féministe peut en être l’outil précieux.

Jocelyne Adriant-Mebtoul 50-50 Magazine

1 Redevabilité : preuve et verification que l’autorité qui a pris des engagements dans un domaine, en l’occurrence l’égalité F/H et les droits des femmes, les honore bien et respecte le plan d’action qu’elle a mis en place dans ce cadre.

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