Articles récents \ DOSSIERS Algérie, Les chiffres des violences faites aux femmes ainsi que des féminicides ne baissent pas

Le 22 Février 2019, une révolution populaire appelée le Hirak a vu le jour en Algérie prenant la forme d’une série de manifestations hebdomadaires qui ont lieu jusqu’en 2021. Des millions de personnes ont protesté dans un premier temps contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel puis contre son projet de se maintenir au pouvoir à l’issue de son quatrième mandat dans le cadre d’une transition et de la mise en œuvre de réformes. Le Hirak a également insufflé un nouveau souffle à des revendications sociales de toutes formes notamment celles des droits des femmes. Il n’était pas rare d’observer des pancartes féministes lors des manifestations. Celles-ci étaient d’ailleurs souvent rejetées par une partie du peuple, prétextant : “ce n’est pas le moment”. Certaines militantes ont même été lynchées médiatiquement pour avoir brandi une pancarte demandant la liberté des femmes. Cinq ans après le début et l’essoufflement du Hirak, le moment est venu de faire le bilan de la situation des droits des femmes en Algérie et surtout, comprendre ce refus de certain·e·s Algérien·ne·s d’aborder les violences faites aux femmes.

En Algérie, on compte environ 10,7 millions de jeunes âgé·e·s entre 19 et 25 ans, soit 30 % de la population. Sofia Djama est une réalisatrice algérienne à qui l’on doit Les Bienheureux récompensé à la Mostra de Venise en 2017 et qui a révélé l’actrice Lyna Khoudri. Elle s’inquiète de l’incompréhension de l’enjeu des luttes par une majorité de la société et confie : “La jeunesse n’est pas nihiliste mais totalement déconnectée de l’existence politique du moins de l’exercice politique traditionnel, c’est un fait international mais c’est d’autant plus flagrant chez nous” Elle ajoute, concernant l’exercice du militantisme en Algérie : “Comme ce pays a peur de basculer dans la violence, on pense naïvement que les valeurs conservatrices dont nous parlent l’État vont créer la cohésion mais tant que le code de la famille sera appliqué, la société algérienne n’auras pas de citoyens égaux”.

Le code de la Famille adopté le 9 juin 1984 par l’Assemblée populaire nationale, regroupe les règles qui déterminent les relations familiales en Algérie, il se base sur la chariâa et reste soutenu par les conservateurs. Les militantes féministes le rejettent et souhaitent son abrogation en raison des discriminations contre les femmes qu’il impose. Minorité à vie, inégalité successorale, polygamie… Aouicha Bekhti, avocate et figure du militantisme féministe en Algérie le qualifie de “violence institutionnelle”.

Sur le plan juridique, dans le code du travail par exemple, la femme algérienne est la parfaite égale de son homonyme masculin, en théorie. Aouicha Bekhti révèle que sur le terrain, c’est autre chose : “Les femmes se heurtent souvent au plafond de verre. Les postes à responsabilité ne leurs sont que rarement confiés malgré 65% de femmes qui obtiennent le BAC. Ces chiffres ne sont pas représentés sur le terrain. Les femmes représentent seulement 20 % de la population active, majoritairement réparties dans les villes en dehors des zones rurales”. Les chiffres démontrent également que plus de 61 % des femmes qui travaillent sont dans les administrations en qualité de cadres et cadres supérieurs, 22 % dans les postes d’encadrement supérieur (Cheffe de bureau) et seulement 18 % dans les hautes fonctions de l’État. Il est également important de souligner que si certaines femmes ne travaillent pas, c’est également en raison des mœurs qui se traduisent en pression sociétale et en charge mentale.

Les chiffres des violences faites aux femmes ainsi que des féminicides ne baissent pas

En 2015, le Parlement algérien a voté une loi qui, pour la première fois, criminalise les violences faites aux femmes. En effet, cet amendement au code pénal prévoit des peines de prison de 1 an à 20 ans selon les blessures, et la réclusion à perpétuité en cas de décès, pour quiconque porte volontairement des coups à sa partenaire. Le texte prévoit également des peines de six mois à deux ans de prison pour quiconque exerce sur son épouse des contraintes afin de disposer de ses biens et de ses ressources financières. Cependant, les chiffres des violences faites aux femmes ainsi que des féminicides ne baissent pas. Un travail de recensement est effectué par le site Féminicide DZ ainsi que par la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) qui a confirmé 12 616 cas de violences entre 2021 et 2022. Ces recensements restent cependant loin de la réalité car beaucoup de femmes n’osent pas porter plainte. Les revendications féministes faites en 2019 durant le Hirak semblaient couler de source, mais pas pour tout le monde. Leïla Saadna, photographe et réalisatrice algérienne s’insurge contre le fameux “ce n’est pas le moment” scandé par une partie du peuple. Elle a d’ailleurs documenté de l’intérieur les mouvements féministes tout au long du Hirak de 2019 à 2021, notamment dans la série de photographies intitulée “Houria, Houria wel Hoqoq ennasswiya”, “Liberté, liberté et droits des femmes”. Leïla Saadna confie : “Ce n’est pas le moment pourquoi ? Pour réfléchir au type de société que l’on souhaite ? Ces questionnements sociaux doivent être au cœur de tout mouvement révolutionnaire. On ne peut pas se battre pour une société plus juste sans remettre en cause le patriarcat”. Elle ajoute que la suite des événements n’a fait que confirmer l’urgence de la question des violences faites aux femmes : “Les femmes en Algérie ont beaucoup souffert du confinement pendant la pandémie, avec une hausse significative des cas de violences. Elles souffrent également de la répression de la société civile et de la disparition de plusieurs espaces associatifs de débats et de créations qui permettent aux femmes de s’exprimer plus librement.”

Malgré l’essoufflement du Hirak, la lutte féministe continue en Algérie. Les militantes, les collectifs et les associations tels que le Réseau Wassila, Féminicide DZ, le Journal Féministe Algérien, la Fondation pour l’égalité multiplient les actions pour soutenir les femmes victimes de violences et se battre pour une égalité inconditionnelle des droits entre les femmes et les hommes.

Sonia Gassemi 50-50 Magazine

Photo de Une © Leïla Saadna

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